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Il a fallu que l’autorité publique ordonnât aux propriétaires et aux habitants aisés de chaque paroisse de se cotiser pour nourrir les pauvres[1] ; et cette précaution indispensable a achevé d’épuiser les propriétaires même les plus riches, dont la plus grande partie du revenu était déjà absorbée par la nécessité d’avancer à leurs colons, qui n’avaient rien recueilli, de quoi se nourrir jusqu’à la récolte. On ne peut pas même supposer que le haut prix des grains ait pu être favorable aux propriétaires. La plupart n’avaient pas assez de grains pour suffire à la quantité de personnes qu’ils avaient à nourrir ; et il n’en est presque point, même parmi les plus riches, qui n’aient été forcés d’en acheter pour suppléer à ce qui leur manquait, surtout dans les derniers temps qui ont précédé la récolte, laquelle, pour surcroît de malheur, a été cette année retardée d’un mois. Les seuls à qui cette cherté ait pu être profitable sont les propriétaires de rentes seigneuriales et de dîmes qui avaient des réserves des années précédentes[2] ; mais ces revenus n’appartenant qu’à des privilégiés, il n’en résulte aucune facilité pour l’acquittement de la taille et autres impositions roturières.

Non-seulement la disette de l’année dernière a épuisé les ressources des artisans, des paysans aisés, et même des propriétaires de fonds ; elle a encore fait sortir de la province des sommes d’argent immenses qui ne peuvent y rentrer par les voies ordinaires du commerce, puisque celles-ci ne suffisent ordinairement qu’à remplacer ce qui sort annuellement pour les impositions, pour le payement des propriétaires vivant hors de la province, et pour la solde des denrées que la province est dans l’habitude de tirer du dehors. Nous ne pensons pas que cette somme s’éloigne beaucoup de 3 millions 600,000 liv. à 4 millions, somme presque égale au montant de la totalité des impositions ordinaires.

Le calcul en est facile : on ne pense pas qu’on puisse porter le vide occasionné par la modicité extrême de la récolte des grains, et par la perte totale des châtaignes, des blés noirs et du blé d’Espagne, à moins du tiers de la subsistance ordinaire. Qu’on le réduise au quart, c’est-à-dire à trois mois : on compte environ 700,000 personnes dans la généralité ; réduisons-les par supposition à 600,000, et retranchons-en le quart pour les enfants, ne comptons

  1. Voyez, tome II, Travaux relatifs à la disette de 1770 et 1771, nos VII et VIII.
  2. Voyez ibid., no  XIII.