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X. LETTRE AU CONTRÔLEUR GÉNÉRAL BERTIN[1].


À Angoulême, le 10 août 1762.

Monsieur, ma mère m’a écrit qu’elle a eu l’honneur de vous demander pour moi l’intendance de Lyon. Cette place me paraîtrait certainement très-désirable par elle-même ; j’y gagnerais une augmentation assez considérable de revenu, un séjour beaucoup

    terres en friche, des améliorations dont elles sont susceptibles, des productions principales du sol, des objets de l’industrie des habitants, et de ceux qu’on pourrait leur suggérer, du lieu où se fait le plus grand débit de leurs denrées, de l’état des chemins, et s’ils sont praticables pour les voitures ou seulement pour les bêtes de somme.

    La position du lieu, la salubrité de l’air, les maladies les plus fréquentes des hommes et des animaux, les causes auxquelles on les attribue, sont encore dignes de vos recherches. Vous pouvez aussi écouter les plaintes des particuliers sur toutes sortes d’objets. Vous vous attacherez à découvrir, autant qu’il vous sera possible, les abus de tout genre dont le peuple peut souffrir ; désordres dans différentes parties de l’administration, vexations plus ou moins caractérisées, préjugés populaires qui peuvent être funestes à la tranquillité ou à la santé des hommes. Vous pouvez conférer sur tous ces objets avec MM. les curés à qui j’ai aussi demandé de pareils éclaircissements, avec les seigneurs et les gentilshommes que vous aurez occasion de voir, avec les principaux bourgeois du canton Je serai fort aise de connaître toutes les personnes qui sont en état de me donner des éclaircissements utiles. Vous me ferez plaisir de m’indiquer ceux en qui vous aurez reconnu ces qualités. Vous vous informerez surtout soigneusement des médecins, des chirurgiens, des personnes charitables qui s’occupent de médecine, et qui distribuent des remèdes aux malades.

    Si vous rencontrez quelques hommes qui se distinguent par quelque talent, ou qui montrent des dispositions singulières pour quelque science ou quelque art que ce soit, vous m’obligerez de ne me les pas laisser ignorer. Je chercherai les occasions de les employer, et de ne pas laisser leur talent enfoui.

    Vous me ferez plaisir de prendre note des habitants à qui, dans le travail des vérifications, vous remarquerez le plus d’intelligence, et qui passent pour avoir le plus de probité……

    Quoique cette partie de vos fonctions ne soit liée que d’une manière éloignée avec l’objet direct de votre voyage, je suis persuadé qu’elle vous deviendra de plus en plus précieuse ; et je ne doute pas qu’elle ne serve aussi beaucoup à vous concilier l’affection et la confiance des habitants. »

    Turgot appelait toutes ces lettres ses œuvres limousines. Elles ont été devant Dieu, et pour les cœurs honnêtes, préférables aux plus belles œuvres académiques, dit Dupont de Nemours. (E. D.)

  1. Cette lettre se recommande à toute l’attention du lecteur. Le touchant hom-