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revenu mettent le cultivateur et le propriétaire en état de donner de forts salaires aux hommes qui vivent de leurs bras. Les forts salaires, d’un côté, mettent les hommes salariés en état de consommer davantage, et d’augmenter leur bien-être : de l’autre, ce bien-être et cette abondance de salaires offerts encouragent la population ; la fécondité du sol appelle les étrangers, multiplie les hommes ; et la multiplication des hommes fait à son tour baisser les salaires par leur concurrence, tandis que leur nombre soutient la consommation et la valeur vénale. La valeur vénale des denrées, le revenu, le prix des salaires, la population, sont des choses liées entre elles par une dépendance réciproque, et qui se mettent d’elles-mêmes en équilibre suivant une proportion naturelle ; et cette proportion se maintient toujours lorsque le commerce et la concurrence sont entièrement libres.

L’unique conclusion pratique à tirer de tout ceci, c’est que les salariés doivent être entièrement libres de travailler pour qui ils veulent, afin que les salariants, en se les disputant lorsqu’ils en ont besoin, mettent un juste prix à leur travail ; et que, de l’autre, les salariants "soient entièrement libres de se servir de tels hommes qu’ils jugeront à propos, afin que les ouvriers du lieu, abusant de leur petit nombre, ne les forcent pas à augmenter les salaires au delà de la proportion naturelle, qui dépend de la quantité des richesses, de la valeur des denrées de subsistance, de la quantité de travaux à faire et du nombre de travailleurs, mais qui ne peut jamais être fixée que par la concurrence et la liberté.


Quoique les frais de culture se dépensent dans l’État, il ne s’ensuit pas, comme le croit l’auteur, que l’État soit aussi riche quand les frais augmentent aux dépens du produit net. L’État n’a et ne peut avoir de force qu’à raison du produit net, parce que tout ce qui est nécessaire à la reproduction est tellement affecté aux besoins des particuliers qui travaillent à la faire naître, qu’il ne peut en être rien prélevé pour les dépenses publiques. Or, s’il ne peut y avoir de dépenses publiques, s’il n’y a point de forces communes pour employer à l’intérêt commun, il n’y a point d’État à proprement parler ; il y a seulement une contrée peuplée d’habitants qui naissent, vivent et meurent auprès les uns des autres. Les frais de culture restent dans l’État, dans ce sens qu’ils sont dépensés entre le Rhin, les Alpes, les Pyrénées et la mer ; mais ils n’ap-