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blit pas, si elle n’anéantit pas telle ou telle fabrique, telle ou telle branche de commerce ou de l’industrie nationale, pour la transporter à l’étranger.

Une très-grande portion de ce que le peuple paye est absorbée par les frais immenses d’une perception nécessairement compliquée, et par les profits que le gouvernement est obligé d’abandonner à ceux qu’il a chargés d’en suivre les détails. Ce que le Trésor public reçoit n’est même en grande partie qu’une ressource illusoire, puisque les dépenses de l’État supportent l’impôt comme celles des particuliers, par le renchérissement des denrées et des salaires. L’État reçoit donc moins, et le peuple paye plus.

Que sera-ce si, à ce qui se lève à titre de droits, on ajoute tout ce que coûte au peuple la fraude, à laquelle il est continuellement sollicité par sa misère, et par la malheureuse espérance de se soustraire à des surveillants toujours moins nombreux et moins actifs que ceux qui veillent pour les tromper ? si l’on ajoute ce qu’enlève au peuple et à l’État la perte du temps qu’auraient employé à des travaux honnêtes et fructueux ceux qui n’ont d’autre occupation que de pratiquer la fraude ou de l’empêcher ? si l’on ajoute ce qu’engloutissent les amendes, les confiscations ? Que sera-ce, si l’on met en ligne de compte les supplices, les hommes dont ces supplices privent l’État, la ruine de leurs femmes, de leurs enfants, et l’anéantissement de leur postérité ?

À la vue de ces peines, de ces supplices décernés pour des délits absolument étrangers aux devoirs primitifs de la société dont la sanction est écrite dans le cœur de, tout homme honnête, pour des délits factices, pour des contraventions qui ne blessent que l’intérêt pécuniaire du fisc, l’humanité s’afflige et la politique doit craindre d’ébranler dans l’esprit du peuple les notions de la morale naturelle, d’affaiblir son respect et son amour pour les lois.

Les recherches inquiétantes que la nature de ce genre d’impôt nécessite, et qui poursuivent le citoyen dans ses négociations d’affaires et de commerce, dans ses voyages, souvent jusque dans le secret de sa maison ; l’atteinte fréquente que ces recherches donnent à la liberté dans les actions les plus indifférentes à l’ordre public ; la guerre sourde qu’elles établissent entre la nation et les préposés à la perception de l’impôt, que l’autorité se voit toujours forcée de soutenir ; toutes ces suites inséparables de l’impôt sur les consommations