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il jouit d’un revenu libre qu’il tient en grande partie du bienfait de la nature, qui n’est point l’équivalent de son travail personnel ni de ses avances immédiates, qui n’a pas même une proportion déterminée avec les avances du défrichement, qui n’a d’autres bornes que celles de la fécondité de la terre combinée avec la valeur vénale des denrées qu’elle produit.

Tout ce que reçoivent les autres membres de la société, cultivateurs, ouvriers, commerçants, capitalistes, est le prix du travail, de l’industrie, des avances ou de l’argent prêté à prix débattu entre deux intérêts opposés, et réduit, par la concurrence, au moindre taux possible, c’est-à-dire à celui qu’exige le maintien de la culture, des arts, du commerce, de la circulation dans le même degré d’activité. Cette portion des richesses annuelles, consacrée à l’entretien du mouvement et de la vie dans le corps politique, ne peut être détournée à d’autres usages sans attaquer la prospérité publique, sans tarir la source même des richesses, au préjudice des propriétaires des terres et de l’État entier.

Mais, quoique aucune forme ne puisse empêcher le poids de l’impôt de retomber en totalité sur les propriétaires des terres, il s’en faut bien que toute forme soit indifférente à ces propriétaires, ni même au gouvernement. — Quant au propriétaire, nous avons déjà vu qu’il a intérêt de ne payer que ce dont le gouvernement a besoin, et de ne pas payer en sus des frais inutiles. — Quant à l’administration publique et à ses chefs, quelle que soit leur dénomination, lorsqu’ils demandent directement aux propriétaires ce que les besoins de l’État exigent, ils savent précisément quelle est la somme à lever sur le peuple, lis savent que cette somme ne sera ni grossie par des frais et des vexations, ni absorbée par des profits intermédiaires ; que par conséquent l’État ne sera pas obligé de demander plus pour avoir moins. L’impôt levé sur les propriétaires ne leur ôte qu’une portion de revenu libre dont la disposition peut varier sans rien changer à l’ordre et à la proportion de toutes les parties actives de la société. Tout reste à sa place ; toutes les valeurs qui circulent dans le commerce conservent le même rapport entre elles : aucun genre de travail, aucune marchandise ne reçoit d’aucune taxe un surcroît de valeur dont les reflets propagés au loin, sans pouvoir être ni prévus ni appréciés, dérangent la marche naturelle de l’industrie ; le désir d’éluder une douane ou toute autre