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les capitaux encore plus vite, par cela même que ses coups seraient d’abord moins sensibles et avertiraient moins du danger.

Il s’agit uniquement ici de l’impôt territorial ; et puisqu’il est une fois démontré que l’impôt doit respecter la part du cultivateur, il faut, par une conséquence nécessaire, qu’il soit payé par le propriétaire. Car si on le demandait au fermier, celui-ci aurait bien l’esprit de le retenir au propriétaire sur le prix de son bail. Aussi ne se serait-on jamais avisé de taxer le cultivateur en son nom, sans les entraves qu’ont mises aux vrais principes les privilèges de la noblesse et des ecclésiastiques, qu’on a voulu éluder. Nous discuterons dans la suite les inconvénients de cette méthode. Quant à présent, nous traitons de la question considérée en elle-même, et, dans une nation où rien ne porterait obstacle à ce qu’on suivît les vrais principes, il n’y a aucun doute qu’on ne s’adressât directement aux propriétaires.

Cependant cette proposition est contraire à l’opinion de ceux qui avaient conçu le système de la dîme royale, ou qui l’ont applaudi. — Ce système peut effectivement éblouir par sa simplicité, par la facilité du recouvrement, par l’apparence de la justice distributive, et du moins parce que chacun sait ce qu’il doit payer. La dîme ecclésiastique est un exemple séduisant chez les peuples pauvres et sans commerce. Cette forme peut s’établir plus aisément qu’aucune autre. On est sur que le contribuable a toujours de quoi payer ; il paye sur-le-champ et sans frais. Cet usage est établi à la Chine. Il pêche cependant par différents inconvénients.

Premier inconvénient de la dîme : sa disproportion. Point d’égard aux frais de culture. Il est possible que le dixième brut soit plus fort que le produit net. Si, en dépensant la valeur de neuf setiers de blé on venait à bout d’en faire produire dix par arpent, on n’aurait qu’un setier de produit net ; ce serait encore un revenu très-suffisant pour engager à cultiver : eh bien ! la dîme l’enlèverait tout entier ; elle anéantirait donc tout le revenu ; — et si la culture avait coûté plus cher, la dîme se détruirait elle-même ; elle détruirait le motif de la culture, et la ferait cesser.

Seconde raison plus directe, mais qui rentre un peu dans la première. La dîme étant une portion des fruits, peut entamer la part du cultivateur, et faucher ainsi plus que l’herbe. Les fruits appartiennent d’abord en totalité au cultivateur ; c’est à lui à faire