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surplus qu’il donne au propriétaire, qui fait le revenu, et ce n’est que sur ce revenu que peut porter l’impôt. Quand le propriétaire cultive lui-même, il n’a pas plus de revenu disponible ; mais il confond dans sa personne son revenu comme propriétaire et son profit comme cultivateur, profit qui n’est point disponible[1].

M. Quesnay a démontré encore que, si la valeur vénale diminuait, le revenu diminuait graduellement, au point qu’enfin la terre ne produirait rien au delà des reprises et des profits du cultivateur ; que dès lors il n’y aurait plus de fermes ; que le propriétaire, il est vrai, pourrait encore cultiver pour vivre, en faisant lui-même ses avances, mais que ce faible revenu ne serait plus disponible. Et il serait possible que, dans une nation où les terres en seraient réduites à cette culture, il n’y eût absolument aucun revenu, aucun moyen de soutenir l’État, qu’en dévorant graduellement les capitaux ; ce qui serait absolument vicieux et nécessairement passager.

Pour le sentir, il suffira de réfléchir qu’il faut que les propriétaires vivent. Qu’une famille ait besoin de cent écus pour vivre, et que les terres soient partagées de façon que chaque propriétaire en cultivant lui-même ne gagne que les cent écus, il ne pourra payer l’impôt sans prendre sur sa subsistance.

Ce prétendu revenu ne serait que le salaire de son travail ; le vrai revenu est la part du propriétaire au delà de celle du cultivateur, celle que le cultivateur donne au propriétaire pour acquérir le droit de travailler son champ. Toute autre idée de revenu est illusoire. Lorsqu’on achète un bien-fonds, c’est ce revenu seul qu’on achète[2].

  1. Dans ce cas, le fermage disparaît, mais la rente se maintient toujours.

    « Plusieurs disciples de Smith, a dit M. Rossi, paraissent confondre, comme ceux de Quesnay, le produit net et le fermage au point de croire que le produit net est toujours une cause nécessaire de fermage, et qu’en conséquence il n’y a jamais de produit net lorsque la terre ne donne pas de fermage à son propriétaire. » (Cours d’économie politique, tome II, page 17.)

    Il nous semble que ce passage de Turgot contrarie formellement, en ce qui touche l’école de Quesnay, l’opinion du savant professeur. Cette école concevait très-bien le produit net sans le fermage, mais elle ne concevait pas le fermage sans produit net, et c’est pour cela qu’elle manifestait tant de prédilection eu faveur de la grande culture. (E. D.)

  2. J,-B. Say, après avoir cité un passage du commentaire de Buchanan, qu’il traduit en ces termes : « Le haut prix qui donne lieu au profit foncier, tandis qu’il enrichit le propriétaire qui vend des produits agricoles, appauvrit dans la même proportion le consommateur qui les achète. C’est pourquoi il est tout à fait peu