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leur est rendu par ces mêmes concitoyens, vendeurs à leur tour dans toutes les autres branches de commerce, où les premiers deviennent à leur tour acheteurs[1]. Ils ne voient pas que toutes ces associations de gens du même métier ne manquent pas de s’autoriser des mêmes prétextes pour obtenir du gouvernement séduit la même exclusion des étrangers ; il ne voient pas que, dans cet équilibre de vexation et d’injustice entre tous les genres d’industrie, où les artisans et les marchands de chaque espèce oppriment comme vendeurs, et sont opprimés comme acheteurs, il n’y a de profit pour aucune partie ; mais qu’il y a une perte réelle pour la totalité du commerce national, ou plutôt pour l’État qui, achetant moins à l’étranger, lui vend moins aussi. Cette augmentation forcée des prix pour tous les acheteurs diminue nécessairement la somme des jouissances, la somme des revenus disponibles, la richesse des propriétaires et du souverain, et la somme des salaires à distribuer au peuple[2]. Cette

  1. Là n’est pas l’inconvénient, car le dommage qu’éprouvent les industriels à privilège, en tant que consommateurs, des monopoles concédés à d’autres qu’eux-mêmes, est un sacrifice nul en comparaison des avantages que leur procurent celui ou ceux qu’ils exploitent personnellement.
  2. C’est ici que Turgot met le doigt sur le mal. Soit À le corps des privilégiés ; B le reste de la nation ; 100 millions les profits annuels des monopoleurs. Cette somme doit évidemment sortir de la poche de B pour entrer dans celle de A. Mais B représente évidemment, encore, les capitalistes non privilégiés, les propriétaires, et la masse des simples travailleurs. Or, si la dîme levée par À frappe ces trois classes de personnes indistinctement, il est à remarquer qu’elle ne ravit aux deux premières qu’une portion de leur superflu, tandis qu’elle attaque la troisième dans ses moyens rigoureux de subsistance, lesquels n’ont d’autre principe que cette somme des salaires dont parle Turgot.

    Il est vrai que les partisans du système protecteur répondent que le monopole du marché est établi, au contraire, dans l’intérêt du travail. Mais ne suffit-il pas, en vérité, d’ouvrir les yeux de l’esprit et du corps pour apercevoir le mensonge flagrant de cette assertion ?

    Qu’ils prouvent donc, en théorie, que partout où des capitaux et des bras se trouveront en présence, le travail ne sera pas la conséquence nécessaire de la simultanéité de ces deux circonstances économiques !

    Qu’ils prouvent donc, en fait, qu’il y a plus de sécurité pour le travail dans la production privilégiée que dans celle qui ne l’est pas ; que le cordonnier, le tailleur de nos villes, le journalier de nos campagnes, est plus souvent exposé à manquer de pain que l’ouvrier des fabriques de Lyon, de Reims, de Saint-Quentin, de Manchester ou de Birmingham !

    Qu’ils prouvent, enfin, que la haute industrie, cette mendiante superbe de primes, de subventions et de tarifs protecteurs, récompense le travail d’une manière plus généreuse que celles qui restent soumises au droit commun, et qu’ils déploient à nos regards la statistique de ses salaires !

    Ajoutons que le système contre lequel s’élève Turgot avait au moins, de son