Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/48

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vertus et des talents du maître s’y détache, en effet, sur un fond qui n’est autre chose que la critique de tous les vices du système mercantile, et l’exposition succincte des points fondamentaux de la doctrine de Quesnay.

En 1761, Turgot fut nommé à l’intendance de Limoges. Dès que Voltaire en fut instruit, il lui manda : « Un de vos confrères vient de m’écrire qu’un intendant n’est propre qu’à faire du mal ; j’espère que vous prouverez qu’il peut faire beaucoup de bien. » Jamais prévision ne dut recevoir un accomplissement plus littéral, et les succès de l’administration de Turgot furent tels, qu’on finit par dire que la province qu’il gouvernait ressemblait à un petit état fort heureux, enclavé dans un empire vaste et misérable. Cet esprit supérieur obéit à la loi qui lui était propre, en s’attachant surtout à des réformes d’une portée haute et féconde pour l’avenir. On ne lui a pas dénié ce mérite, mais on n’a pas tenu assez de compte du courage de détail, et de l’abnégation prodigieuse qu’exigeait l’exécution de pareilles réformes. Il faut parcourir les nombreux monuments qui nous restent de la sollicitude administrative de Turgot, pour comprendre combien fut admirable le dévouement de cet homme qui, tenant de la nature et de la fortune tout ce qui était nécessaire pour jouer un grand rôle scientifique ou littéraire au sein de la capitale, préférait s’exiler, d’une manière indéfinie, dans une province inculte et pauvre, pour consacrer chaque jour à y faire pénétrer la civilisation et le bonheur[1]. Il faut les parcourir surtout, pour apprécier à sa juste valeur l’opinion qui tente de faire passer pour un simple théoricien celui qui, pendant treize années entières, ne cessa d’étudier l’économie matérielle du corps social jusque dans ses moindres ressorts !

  1. Turgot aurait pu obtenir, dès 4762, l’intendance de Lyon, Sa mère la sollicitait pour lui du contrôleur-général Bertin, très-bien disposé en sa faveur. Il écrivit au ministre, qui lui avait offert déjà celle de Rouen, de le laisser à Limoges pour y réformer l’assiette de la taille. Il faut louer Necker d’avoir refusé le traitement de contrôleur-général ; mais il y a loin, certes, de l’esprit qui dictait ce refus, aux considérations qui portaient Turgot à ne pas vouloir d’un poste meilleur, — Voyez tome Ier, page 511.