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cherté est toujours le prix du marché général, plus les frais de transport. Dans les lieux où le prix habituel est le prix du marché général, il ne faut, pour avoir le prix de cherté, qu’ajouter au prix ordinaire les frais de transport, et dans ceux où le prix habituel est plus bas, il faut y ajouter non-seulement les frais de transport, mais encore la différence du prix habituel au prix du marché général ; l’augmentation est donc plus forte et plus difficile à supporter.

Un exemple rendra ceci plus sensible. Je suppose qu’en Limousin le prix habituel soit 10 francs, et que le prix des ports soit 20 francs ; que dans une autre province éloignée de la mer, le prix habituel soit le même que celui des ports ou du marché général ; que la totalité des frais pour amener les grains depuis le port jusqu’au lieu de la consommation soit également 10 francs, ce qui doit être, puisque la distance est égale ; le consommateur limousin et le consommateur de cette autre province payeront également le grain 30 francs ; mais pour le Limousin, accoutumé à le payer 10, le prix est triple ; pour l’habitant de l’autre province, dont le prix habituel est 20, le prix n’est monté que dans la proportion de deux à trois ou augmenté d’une moitié en sus, augmentation qui n’a rien d’infiniment onéreux.

Les salaires du journalier limousin continueront d’être à 10 sous par jour ; dans l’autre province, ils seront de 20 sous. C’est même forcer la supposition en faveur du Limousin que de supposer ses salaires aussi hauts à proportion que ceux du consommateur de l’autre province, puisque, l’inégalité des prix étant moindre pour ce dernier, son prix habituel est plus rapproché du prix moyen. C’est encore forcer la supposition en faveur du Limousin que de supposer qu’ils aient tous deux un égal nombre de journées utiles, car la même raison de l’inégalité des prix rendant les propriétaires moins riches, il doit y avoir en Limousin moins de salaires offerts et moins de travail : il n’importe, on peut négliger ces petits avantages. Supposons don(î pour l’un comme pour l’autre deux cents journées de travail utile : à 10 sous, c’est pour le journalier limousin 100 francs par an, et à 20 sous, pour celui que nous lui comparons, c’est 200 francs. Tous deux mangent également trois setiers par an, ils les payent également 30 livres le setier ; en tout 90 livres. Ces 90 livres ôtées de 100, il ne reste au manouvrier limousin que 10 livres. Otez-les de 200 livres, il reste 110 livres pour l’ouvrier