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produira de plus, ce qu’elle exportera, ce qu’elle importera de moins, sa mise en un mot dans le marché général sera un objet trop considérable pour n’en pas faire baisser le prix. C’est un concurrent de plus dans la fourniture générale des besoins, et c’est un concurrent dont la mise sera sans aucun doute assez forte pour influer sur le prix du marché.

Certainement si le prix baisse, ce sera un grand avantage pour les consommateurs, puisqu’il est d’ailleurs démontré qu’il y aura une plus grande masse de salaires à partager. Il en résultera même qu’il n’y aura pas jusqu’aux rentiers de Paris qui ne gagnent à la liberté, puisqu’en même temps que leurs hypothèques en seront mieux assurées, ils ne payeront pas le pain plus cher ; il en résultera encore qu’il n’y aura pas d’augmentation dans les dépenses du gouvernement, comme on l’aurait pu croire d’après la plus-value du pain qu’il a fallu donner aux troupes durant ces dernières années. Il ne faut pas confondre l’effet d’une disette passagère occasionnée par de mauvaises récoltes avec l’effet naturel de la liberté du commerce, du post hoc au propter hoc : l’une hausse les prix, l’autre les baisse.

Au reste, cet avantage de la baisse du prix moyen ne mérite pas d’être compté pour beaucoup : premièrement, parce qu’il est très-modique en lui-même pour le consommateur en comparaison de celui qu’il retirera de l’égalisation des prix[1] ; secondement, parce qu’on peut douter que le prix moyen qui s’établira à la suite de la liberté soit beaucoup plus bas que le prix moyen qui a eu lieu, dans l’intérieur de la France avant la liberté, c’est-à-dire avant l’époque de la récolte de 1764. Je vois en effet par le relevé des prix du marché de Paris depuis la récolte de 1726 jusqu’à celle de 1764, intervalle pendant lequel il n’y a eu qu’une seule disette à la suite de la récolte de 1740, que le prix moyen du froment à Paris n’a pas été au-dessus de 16 livres 12 sous 7 deniers ; aussi pendant la plus grande partie de cet intervalle, les cultivateurs n’ont-ils cessé de se plaindre. Or, ce prix est trop au-dessous de celui du marché général, lequel est d’environ 20 livres, pour que la liberté puisse le faire descendre plus bas.

  1. La note que nous avons donnée précédemment et qui démontre que les prix se sont toujours élevés d’une manière beaucoup plus rapide que ne le comporte la cherté, est une nouvelle preuve de l’excellent jugement de l’auteur. (Hte D.)