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ce qu’ils ne trouvent point chez eux. Les laboureurs alors ne payent les salaires qu’en argent, parce que le grain est trop cher ; souvent même ils sont obligés d’en acheter pour eux et pour leurs domestiques. Il suit de là que dans les années abondantes, la compagnie ne peut vendre qu’au peuple des villes ; que dans les années stériles, elle doit nourrir de plus une partie du peuple des campagnes. Si donc son prix est toujours égal, elle perdra infiniment plus dans les années stériles qu’elle ne gagnera dans les années abondantes ; par conséquent son entreprise est ruineuse, et bientôt la banqueroute forcée laissera les peuples sans ressource au moment du plus grand besoin.

Pour lever cette difficulté, accordera-t-on à la compagnie un prix assez fort pour compenser, dans les années abondantes où elle vendra peu de grains à profit, ce qu’elle doit perdre sur l’immense quantité de grains qu’elle vendra dans les années stériles ? Il faudra donc que le prix de la compagnie soit beaucoup plus fort que le prix moyen des consommateurs dans l’état actuel ; il est même évident qu’il doit être très-près du prix de cherté. L’effet de ce système sera donc de faire constamment payer les grains au peuple à un prix bien plus haut que ne serait le prix naturel. Or, il est à remarquer que ce prix excessif ne ferait pas monter les salaires comme le bon prix qui résulte de la liberté, parce qu’étant l’effet du privilège exclusif de la compagnie, il n’enrichirait ni les cultivateurs, ni les propriétaires. Mais ce haussement artificiel du prix aurait bien un autre inconvénient ; et cet inconvénient serait d’empêcher la compagnie de rien vendre. De tous côtés, malgré le privilège exclusif, les grains s’offriraient au rabais aux acheteurs. Comment empêcher les étrangers de verser leurs grains dans les provinces frontières, comment empêcher le laboureur de vendre à son voisin, comment empêcher le paysan de consommer des pommes de terre ou des légumes par préférence au pain ? Car, sans doute, on n’imaginera pas de donner à la compagnie le monopole de toute espèce de subsistances ; et si on le lui donnait, elle ne pourrait pas davantage empêcher que son privilège ne fut éludé par celui qui consommerait ce qu’il a récolté.

Le peuple aujourd’hui demande qu’on empêche de vendre des grains hors du mâché, parce qu’on lui a fait accroire qu’au marché il payera le grain moins cher ; mais quand l’objet de l’interdiction