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des avances que ce laboureur est aussi obligé de faire, et de plus ce profit, seul motif de cultiver, seul moyen de continuer la culture ; je veux que tout cela s’exécute en faisant payer le grain par le consommateur à un prix proportionné à ses facultés, c’est-à-dire au taux actuel où la situation de la culture, du commerce et des revenus ont fait monter les salaires. Peut-on imaginer qu’il n’y ait dans les causes qui fixent de part et d’autre cette juste proportion aucune variation ? N’est-il pas évident, au contraire, que la situation du commerce change à chaque instant, que les causes qui la font changer peuvent augmenter les frais et diminuer les profits du laboureur ; diminuer la masse des salaires, ou bien faire l’effet contraire ? Une guerre peut épuiser une nation d’argent et d’hommes, et dans le cas opposé, un commerce avantageux peut accroître la masse des capitaux circulant dans un État. Cependant la quantité plus ou moins grande d’argent, ou pour mieux dire de capitaux en circulation, influe certainement sur le prix de toutes choses ; l’état de la population y influe aussi ; la situation même du commerce chez les étrangers et le cours qu’y ont les prix influent nécessairement sur les prix nationaux. Le cours du commerce libre suit toutes ces variations sans aucun inconvénient ; tous les changements qu’il amène se font par degrés insensibles : le débat entre chaque acheteur et chaque vendeur est une espèce de tâtonnement qui fait connaître à chacun avec certitude le vrai prix de chaque chose. Les augmentations ou les diminutions réparties sur tous, les pertes et les gains compensés entre tous et pour tous, font qu’il n’y a de lésion pour personne dans le changement, et s’il y en avait, cette lésion étant l’effet inévitable du cours des choses, on la souffrirait comme on souffre les maux qu’on ne peut imputer qu’à la nécessité ; on n’en accuserait personne, et la tranquillité n’en serait point troublée.

Mais que l’effet est différent si les prix de la denrée principale et la plus nécessaire de toutes sont entre les mains d’une seule compagnie, ou plutôt du gouvernement avec lequel une pareille compagnie est nécessairement identifiée et dans l’opinion du peuple et dans la réalité ! Il faut de deux choses l’une : il faut ou qu’elle suive dans les prix de ses achats et de ses ventes les variations du cours du commerce, ou qu’elle s’obstine à maintenir les prix toujours les mêmes malgré les variations des causes qui concourent à en déterminer la juste proportion.