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Qu’un impôt de 5 pour 100 soit mis sur les denrées, la production restant la même, et les besoins ne changeant pas, il est clair que le producteur ne se résoudra pas à perdre la portion que lui demande l’État. Il augmentera donc le prix de sa denrée de 5 pour 100, et cette augmentation tombera directement sur le consommateur. Turgot prétend qu’alors l’ouvrier demandera un salaire plus élevé en proportion de l’impôt : cela pourrait être si le nombre des ouvriers diminuait, ou ce qui est la même chose, si le nombre des manufactures s’accroissait. Mais il n’en saurait être ainsi. L’impôt est prélevé sur le salarié, par conséquent le salaire se trouve amoindri d’autant, l’ouvrier restreint donc ses consommations, et les manufactures, loin de l’augmenter, diminuent leur production. Il s’ensuit que le nombre des ouvriers disponibles s’accroît, que la concurrence pour le salaire devient plus vive. Ce n’est pas, on le comprend, en présence de tels faits que le salaire peut s’élever. Le salaire, on ne saurait trop le répéter, dépend de la relation du capital disponible d’une contrée, avec le nombre des hommes qui vivent de leur travail.

Tout ce que Turgot pouvait dire, c’est que les propriétaires, comme tout le monde, finissent par se ressentir de la diminution de consommation d’un pays chargé d’impôts.

Dans le cours de son argumentation, Turgot répète souvent qu’il faut, pour qu’une nation soit prospère, que le revenu du propriétaire soit élevé. Il importe de prémunir le lecteur contre une telle proposition, mal exprimée plutôt que mal conçue. Il faut distinguer l’effet de la cause ; or, il est vrai que lorsqu’une nation prospère, le revenu des propriétaires s’accroît en même temps que la richesse générale. Le revenu élevé des propriétés prouve donc que les capitaux sont abondants ; mais il n’est nullement la cause de cette abondance.

Lorsque les physiocrates, et Turgot avec eux, disent que les revenus des propriétaires sont le seul fonds du salaire, ils entendent et doivent entendre que ce sont les produits de la terre qui sont ce fonds du salaire dont ils parlent ; pourvu que ces produits soient mis à la disposition du peuple, peu importe à la richesse générale que ce soit aux propriétaires ou aux cultivateurs que le prix en soit donné ; la richesse n’en serait pas moins grande si même les salariés avaient ces produits gratuitement.

Au reste Turgot prend soin de déclarer lui-même que ce n’est pas par le renchérissement des blés qu’il veut accroître le revenu du