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d’ailleurs éclairés, fonder sérieusement la légitimité du loyer des choses qui ne se consomment point par l’usage, sur ce que cet usage pouvant être distingué de la chose, du moins par l’entendement, est appréciable ; et soutenir que le loyer des choses qui se détruisent par l’usage est illégitime, parce qu’on n’y peut pas concevoir un usage distingué de la chose ; est-ce par de pareilles abstractions qu’il faut appuyer les règles de la morale et de la probité ? Eh ! non, non ; les hommes n’ont pas besoin d’être métaphysiciens pour être honnêtes gens. Les règles morales pour juger de la légitimité des conventions se fondent, comme les conventions elles-mêmes, sur l’avantage réciproque des parties contractantes, et non sur les qualités intrinsèques et métaphysiques des objets du contrat, lorsque ces qualités ne changent rien à l’avantage des parties. Ainsi, quand j’ai loué un diamant, j’ai consenti à en payer le loyer parce que ce diamant m’a été utile ; ce loyer n’en est pas moins légitime, quoique je rende le diamant, et que ce diamant ait la même valeur que lorsque je l’avais reçu. Par la même raison, j’ai pu consentir à payer un loyer de l’argent dont je m’engage à rendre dans un certain temps une égale quantité, parce que quand je le rendrai j’en aurai tiré une utilité ; et ce loyer pourra être reçu aussi légitimement dans un cas que dans l’autre, puisque mon utilité est la même dans les deux cas. La circonstance que l’argent rendu n’est pas précisément l’argent qui m’avait été livré, est absolument indifférente à la légitimité du loyer, puisqu’elle ne change rien à l’utilité réelle que j’en ai tirée, et que c’est cette utilité seule que je paye lorsque je paye un loyer ; qu’importe que ce que je rends soit précisément la même chose qui m’avait été livrée, puisque celle que je rends a précisément la même valeur ? Ce que je rends dans les deux cas n’est-il pas toujours exactement l’équivalent de ce que j’ai reçu, et si j’ai payé dans un cas la liberté de m’en servir durant l’intervalle, en quoi suis-je lésé de la payer dans l’autre ? Quoi ! l’on aura pu me faire payer la mince utilité que j’aurai retirée d’un meuble ou d’un bijou, et ce sera un crime de me faire payer l’avantage immense que j’aurai retiré de l’usage d’une somme d’argent pendant le même temps, et cela parce que l’entendement subtil d’un jurisconsulte peut dans un cas séparer de la chose son usage, et ne le peut pas dans l’autre ? Cela est, en vérité, trop ridicule.