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LETTRE À M. L’ABBÉ DE CICÉ,
DEPUIS ÉVÊQUE D’AUXERRE,
SUR LE PAPIER SUPPLÉÉ À LA MONNAIE[1].


Paris, le 7 avril 1749.3

Je profite pour vous écrire du premier moment de liberté qui se présente.

Vous jugez bien que le séminaire n’est pas un séjour de consolation, et vous savez aussi qu’il n’en est aucun qui puisse me dédommager du plaisir de vous voir.

  1. Turgot était âgé de vingt-deux ans à peine lorsqu’il écrivit cette lettre, dont il n’a pu être recueilli qu’un fragment.

    Les opinions qu’il exprime sur le crédit sont sans reproche, et ce simple fragment est peut-être ce qu’on a écrit de plus clair sur le papier-monnaie.

    Il nous semble cependant que Turgot a fait tort à Law en lui prêtant les idées absolues de l’abbé Terrasson. Law, il est vrai, avait dit que la richesse de la Hollande venait de l’abondance du numéraire ; mais ces mots expriment à peine une pensée, c’est le fait expliqué par le fait. Il avait dit encore « que l’institution des banques procure au papier la valeur et l’efficacité de l’argent » ; mais on aurait tort d’en conclure, comme le fait Turgot, que Law croyait créer une valeur en créant du papier. — Law savait si bien ce qu’était la fonction du billet, qu’on le voit se plaindre amèrement du régent qui, en le forçant d’émettre tous les jours des billets nouveaux, compromettait le système et le menait droit à sa ruine.

    Turgot nous semble manquer d’exactitude lorsque, comparant le crédit du négociant avec celui de l’État, il prétend que l’État, qu’il nomme le roi, ne tire pas d’intérêt des sommes qu’il emprunte. Il faut établir d’abord qu’il n’est ici question que des sommes destinées aux services publics : or, l’État perçoit pour ces sommes un intérêt très-réel, sous la forme d’accroissement de revenus. Les travaux publics, certaines institutions, même onéreuses, comme la poste, les armées, la police, l’instruction publique, augmentent la richesse, ou l’assurent ; le travail la développe, et les revenus se ressentent de ce progrès.

    Lorsque l’État emprunte cent millions, et qu’il les emploie convenablement, il est certain d’accroître la fortune publique de façon à faire facilement face aux cinq millions qu’il paye chaque année à ses créanciers. L’impulsion donnée par un emprunt bien employé, qui n’est autre chose qu’une opération de crédit, a même pour résultat de faciliter les emprunts suivants. La confiance d’une part, et l’accroissement du capital d’autre part, permettent à l’État d’emprunter à 4 1/2 au lieu de 5, puis à 4, etc.

    Un fait signalé dans cette lettre mérite d’être remarqué. — L’impôt s’élevait en 1749 au quart du numéraire existant dans le pays, soit 300 millions. — Or, cette