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mêlée, désarme un des plus furieux assaillants, contient tous les autres par ses paroles, et a le bonheur de voir cet acte d’énergie mettre un terme au carnage.

Turgot, comme le plus jeune des trois fils de cet homme de bien, devait naturellement, d’après les usages de l’époque, être destiné à l’état ecclésiastique. On le fit entrer d’abord, en qualité de pensionnaire, au collège de Louis-le-Grand. Après y avoir achevé ses études jusqu’à la rhétorique, il suivit les classes supérieures au collège du Plessis. De ce collège, il passa au séminaire de Saint-Sulpice, et du séminaire, avec le grade de bachelier en théologie, dans la maison de Sorbonne, pour y acquérir la licence.

Ces premières années de la vie de Turgot, qui finirent lorsque s’ouvrait la seconde moitié du dix-huitième siècle, méritent d’autant plus de fixer les regards, qu’il jouit, comme beaucoup d’autres hommes célèbres, de l’heureux privilège de passer sans transition de l’enfance à la virilité. Chez lui, la jeunesse fut nulle dans l’ordre moral, et l’on peut dire que la nature en avait fait un sage, avant qu’il eût secoué la poussière des écoles. À l’ombre des murs du collège et du séminaire, il s’était élevé un philosophe dont le nom devait vivre dans l’histoire, quand même la fortune ne lui aurait pas assigné plus tard un rang égal à son mérite. Sans doute, il dépendait de cette dernière d’appeler ou de ne pas appeler un jour Turgot au pouvoir ; de remettre ou de ne pas remettre un jour la destinée de la France entre ses mains ; mais elle n’avait déjà plus la puissance de vouer à l’obscurité son génie naissant. Déjà le jeune théologien avait payé au monde, dans les deux Discours en Sorbonne et la Lettre sur le papier-monnaie, dont il sera parlé tout à l’heure, les arrhes de sa célébrité future. Enfin, dans cette première période de son existence, il s’était dessiné complètement au point de vue intellectuel et au point de vue moral. Il annonçait, en un mot, ce qu’il devait rester pendant toute sa carrière, un homme puissant par l’esprit et grand par le cœur.

Et c’est même dès l’enfance de Turgot qu’on rencontre ces