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Dès le 20 avril 1775, des troubles, dont la cherté des grains était le prétexte, éclatèrent à Dijon. La récolte de 1774 avait été médiocre ; mais la disette n’était nulle part, et tous les historiens témoignent qu’on avait souvent vu le pain plus cher sans que l’ordre public fût troublé. La ville, cependant, faillit être le théâtre de scènes sanglantes. Les paysans, après avoir démoli le moulin d’un propriétaire qu’ils accusaient de monopole, vinrent briser les meubles d’un conseiller de l’ex-Parlement Maupeou, qui passait à leurs yeux pour un accapareur. Des paroles insolentes[1] du commandant militaire portèrent l’exaspération à son comble, et le calme ne put être rétabli que par l’intervention de l’évêque.

Apaisée en Bourgogne, l’émeute reparut tout à coup aux portes de la capitale avec un caractère plus grave. Cette fois, sa marche était disciplinée, et ses actes d’une telle nature, qu’on peut en induire un plan de dévastation conçu pour affamer la principale ville du royaume.

De Pontoise, foyer de l’insurrection, partent, le 1er mai, des brigands qui se répandent dans toutes les campagne environnantes. Ils soulèvent le peuple avec les mots de disette et de monopole ; ils l’entraînent sur les marchés, l’excitent à se faire livrer les grains au-dessous de leur valeur, en taxent eux-mêmes le prix à l’aide de faux arrêts du Conseil ; ils ont de Tor et de l’argent, et tantôt achètent, tantôt prennent de force les subsistances, mais toujours pour les détruire. Ils brûlent des granges, incendient des fermes entières, coulent à fond des bateaux de blé, et interceptent les arrivages par la basse Seine et l’Oise ; enfin, ils annoncent hautement qu’ils vont aller à Versailles, et de Versailles marcher sur Paris[2].

Le lendemain 2, en effet, les insurgés arrivèrent à Versailles, y mirent les farines au pillage et demandèrent qu’on

  1. La Tour-du-Pin dit, aux paysans soulevés, d’aller brouter l’herbe qui commençait à paraître. (Soulavie, Mém. hist. et polit, du règne de Louis XVI, II, p. 290.)
  2. Voyez Condorcet, Dupont de Nemours, Soulavie, Desodoarls, Histoire de Louis XVI, et l’Instruction, de Turgot, à tous les curés du royaume, II, page 192.