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se souciait guère, en ce moment, de poursuivre cette conversation avec sa tante.

Elles devaient dîner de bonne heure ce jour-là, ainsi qu’elles avaient coutume de le faire quand elles allaient dans le monde le soir. Elles étaient invitées à passer la soirée chez une vieille dame de leurs amies qu’elles n’avaient pas vue depuis longtemps. Pendant le dîner, mademoiselle Waddington dit à sa tante qu’elle ne se sentait pas la force d’aller dans le monde ce soir-là. Mademoiselle Baker fit quelques objections, cela va sans dire, mais elle n’insista pas. Il semblait fort naturel qu’une jeune fille qui venait de rompre son mariage ne fût pas très en train d’aller à une soirée de whist à Littlebath.

Caroline se trouva donc seule de bonne heure dans la soirée, et pour la première fois elle chercha à se rendre compte de ce qui lui était arrivé. Jusqu’à ce moment elle avait eu à soutenir son rôle de déesse, d’abord devant George Bertram, puis, avec moins d’effort, devant sa tante. Mais, maintenant qu’elle était seule, elle pouvait descendre au rang de simple mortelle : elle était seule, et il le fallait bien.

Oui, sans doute, elle avait perdu trois années ! Et c’était beaucoup pour une déesse mortelle dont la divinité ne comportait qu’une courte durée. Elle avait eu pour principe qu’il fallait tirer le meilleur parti possible de la vie ; elle avait de bonne heure résolu de ne gaspiller aucune chance de succès : et maintenant, à vingt-trois ans, qu’avait-elle fait de ses résolutions ? Où ses doctrines l’avaient-elles menée ? Pendant deux ans le