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même vous le voudriez. Il est inutile que vous vous promettiez de ne pas laisser voir votre colère. Vous êtes en colère, et cela se voit. Voyons, de quoi s’agit-il ? J’espère que mon péché n’est pas bien gros. Pour que vous ayez banni ma pauvre tante du salon, il faut que ce soit un peu grave.

— Je dînais avec M. Harcourt hier, et dans le courant de la conversation il a laissé échapper que vous lui aviez montré la lettre que je vous ai écrite de Paris. Cela est-il vrai, Caroline ? Lui avez-vous montré cette lettre ?

Rien, certes, dans le ton de Bertram n’aurait pu faire deviner à un indifférent qu’il était en colère ; pourtant, mademoiselle Waddington y reconnut quelque chose qui lui donna le vertige et qui fit que le plancher sembla se dérober sous ses pieds. Tous les objets s’effacèrent devant ses yeux, et la rougeur lui monta comme une flamme jusqu’à la racine des cheveux. Jamais Bertram ne l’avait vue rougir ainsi, car jamais avant il ne l’avait vue ainsi couverte de honte. Que de fois elle s’était repentie d’avoir montré cette lettre ! Que de regrets depuis le moment où elle l’avait laissée sortir de ses mains ! Elle l’avait fait dans le feu de son indignation. George lui avait écrit des paroles dures et blessantes qui l’avaient mise hors d’elle. Jusqu’à ce jour-là, elle ne s’était pas doutée du pouvoir qu’ont les mots pour irriter et pour blesser. Le monde lui avait montré tant de bienveillance ! George lui avait reproché de n’être pas assez femme, de manquer de délicatesse, et l’autre qui s’était