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rattachaient le grand parti tory se trouvèrent soudain brisés, comme des fils de soie. L’Irlandais n’eut plus de pommes de terre pour remplir sa marmite, et par contre-coup les grands et puissants propriétaires d’Angleterre s’aperçurent qu’ils avaient mis leur confiance en de faux dieux. Ils s’en aperçurent, ou durent faire semblant de s’en apercevoir. Le premier ministre tint de petits colloques avec ses subordonnés, — ses ducs et ses marquis, ses comtes et ses vicomtes ; mais il ne permit à aucun subordonné, fût-il duc ou marquis, d’avoir une opinion à lui. On leur dit qu’ils s’étaient trompés, qu’ils avaient suivi de faux dieux, et cela devait leur suffire. Cela suffit, en effet, à la très-grande majorité, de sorte que le bill pour le rappel de la loi des céréales fut présenté au parlement, et personne ne douta un instant qu’il ne dût passer.

L’occasion s’offrait enfin superbe à M. Harcourt. Il pouvait soutenir le ministère et conquérir les postes les plus élevés, sans avoir à se dégager d’aucun lien de parti. Ce sont là des bonheurs qui ne sont réservés qu’aux débutants en politique. Le temps était venu de faire un grand discours libéral qui lui assurerait pourtant l’éternelle reconnaissance du chef tory. Au moment où nous reprenons notre histoire, il venait de le prononcer, ce grand discours libéral, dans lequel il avait énergiquement loué, en sa qualité de membre indépendant, « la politique courageuse du grand ministre qui s’était montré assez sage, assez humain, et assez brave à la fois pour sauver son pays aux dépens de son parti. » M. Harcourt ne se demanda pas s’il