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Une exclamation de colère contre son frère partit du cœur de sir Lionel et lui monta aux lèvres, mais il sut la refouler ; ce n’était pas pour rien qu’il avait été pendant trente ans en mission dans des pays étrangers. Il se dit qu’avant de parler à cœur ouvert devant son fils il serait prudent de découvrir au juste quels étaient ses sentiments et son caractère. Il avait toujours compté que George serait non-seulement l’héritier de l’oncle millionnaire, mais encore son fils adoptif, et que de cette façon une partie de l’immense fortune passerait, à coup sûr, entre les mains du jeune homme — peut-être même, dans des proportions plus modestes, entre les siennes, — sans avoir pour cela à attendre que son frère voulût bien mourir. Attendre, c’était déjà fort dur, car enfin son frère prouvait lui survivre ; mais apprendre tout à coup qu’il ne fallait pas compter sur l’héritage et, de plus, que le vieil avare refusait de reconnaître les droits de son neveu, C’en était presque trop pour son flegme diplomatique. Je dis presque, car, en définitive, il se contint.

— Et il t’a dit, en propres termes, qu’il ne comptait te rien donner ?

— Oui, fort nettement, en propres termes. Et moi, je lui ai répondu tout aussi nettement, et sur le même ton, que je ne lui demandais rien.

— Était-ce bien prudent, cela, mon garçon ?

— C’était la vérité, mon père. Mais il faut que je vous dise tout. Il a offert de me prêter soixante-quinze mille francs.

— Que tu as pris, je pense ?