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nesse à la Cour, a toujours parlé Bas-Normand, & conservé son accent ; ce qui donna lieu à Mademoiselle de Montpensier de dire à un gentilhomme qui alloit faire le voyage de Normandie avec M. de Segrais : vous avez un fort bon guide, il sait parfaitement la langue du pays. Vign. Mar.

Les Hébreux ont l’accent de Grammaire, de Rhétorique, & de Musique, ou plutôt, l’accent de Grammaire & de Rhétorique ; car l’accent de Musique n’est point différent de l’accent de Grammaire qu’on appelle aussi accent Tonique, parce qu’il donne le ton à la syllabe ; & l’accent de Rhétorique se nomme Euphonique, parce qu’il sert à rendre la prononciation plus douce & plus agréable. Il y a quatre accens de Rhétorique, ou Euphoniques, & 25 Toniques, ou de Grammaire, dont les uns se placent sur la syllabe, les autres dessous. Les Grammairiens Juifs, suivis des autres qui ont écrit des Grammaires Hébraïques, les distinguent en accens Rois, & en accens Ministres, ou serviteurs. Les premiers sont ceux qui font une distinction grande ou petite. On les appelle Rois, parce que les autres se rapportent à eux, leur servent, & qu’ils sont dans leur Empire ; c’est-à-dire, dans la phrase que ceux-là gouvernent, & qu’ils terminent. Les seconds sont ceux qui ne font point de distinction, mais qui montrent que la phrase n’est pas finie, qu’il faut rapporter le mot ou le membre sur lequel ils dominent à ce qui suit. Parmi ceux qui font distinction, & qu’on appelle généralement Rois, on distingue encore un Empereur, des Rois, des Ducs, ou Chefs. Tous ces noms sont métaphoriques pour marquer une distinction plus ou moins grande. Celui qui domine sur toute une phrase complète, qui termine un sens entier, s’appelle Empereur : cela revient à ce que nous appelons un point. Celui qui domine sur un grand membre de la phrase, qui termine un sens, qui n’est pas cependant tout-à-fait complet, s’appelle Roi : & c’est à-peu-près comme nos deux points, ou notre point avec une virgule. Enfin, celui qui dans un grand membre en gouverne & en coupe un plus petit, qui fait aussi un sens, mais imparfait, se nomme Duc : c’est, si l’on veut, notre virgule. Au reste, l’accent Roi devient quelquefois Ministre, & le Ministre Roi, selon que les phrases sont plus ou moins longues. De plus, l’art & la combinaison des accens est autre dans la poësie hébraïque, que dans la prose. On dispute beaucoup sur l’usage de tous ces accens Toniques, ou de Grammaire. Un grand nombre de Protestans, sur-tout parmi les Luthériens, soutiennent qu’ils servent à distinguer le sens. Le commun des Catholiques, & les plus habiles Protestans, croient au contraire qu’ils ne servent que pour le chant, ou la Musique ; car les Juifs chantent l’Ecriture-Sainte dans leurs Synagogues plutôt qu’ils ne la lisent. Je crois qu’ils sont faits pour marquer ce chant ; mais qu’on a réglé ce chant sur le sens des paroles, & sur l’attention qu’on a voulu qu’on fît à certains mots ; qu’ainsi les accens Hébreux, en marquant le chant, marquent aussi quelque distinction, mais que ces distinctions en si grand nombre sont souvent inutiles ou trop subtiles. Ainsi parmi nos Ecrivains Latins & François, & parmi ceux qui nous donnent des éditions des anciens Auteurs, il y en a qui mettent une fois plus de distinctions de points, de virgules, &c. que les autres. Quoiqu’il en soit, il est certain que les anciens Hébreux n’avoient pas ces accens, qu’ils n’ont été inventés que vers le VIe siècle par les Docteurs Juifs qu’on nomme Massorettes, & qu’ainsi ils n’ont point une autorité divine, quoiqu’en disent quelques Protestans. Les plus judicieux même parmi eux conviennent de ce qu’on vient de dire. Voilà en peu de mots ce que l’on peut dire de plus clair & de plus raisonnable sur une matière fort embrouillée & sur laquelle on a écrit, & l’on écrit encore tous les jours bien des volumes.

Il y a de grandes disputes parmi les Savans sur les accens qu’on trouve depuis plusieurs siècles dans les Livres Grecs, soit imprimés soit manuscrits. Isaac Vossius, qui a composé un discours à ce sujet, prétend que ces accens ne sont point anciens, & qu’autrefois il n’y en avoit point d’autres que de certaines notes qui servent à la Poësie. C’étoient proprement des notes de Musiciens pour chanter les Poëmes, &


non pas des notes de Grammairiens, telles que sont celles qui ont été inventées très-long-temps après. Aristophane le Grammairien, qui vivoit vers le temps de Ptolomée Philopator, fut l’Auteur de ces notes musicales. Aristarque son disciple enchérit dans cet Art par-dessus lui : & tout cela ne servoit que pour apprendre plus facilement aux jeunes gens l’art de faire des vers. Le même Vossius montre par plusieurs anciens Grammairiens, qu’on marquoit en ces temps-là les accens Grecs sur les mots, tout autrement qu’ils ne sont présentement dans les Livres, ce qu’il justifie aussi par des exemples. Voyez sa dissertation De accentibus Græcanicis.

Henri Christian Hennin, dans une Dissertation qu’il a publiée pour montrer qu’on ne doit point prononcer la Langue Grecque selon les accens, a embrassé le sentiment d’Isaac Vossius, qu’il a poussé encore plus loin. Il croit que ce sont les Arabes qui ont été les inventeurs de ces notes, ou pointes, acuminum, qu’on voit sur les mots, & qu’on nomme accens ; & qu’ils ne s’en sont servis que dans la Poësie. Il appuie ce sentiment sur le traité de Samuël Glarck de Prosodiâ arabicâ, imprimé à Oxford en 1661 ; mais il ne paroît pas avoir entendu la pensée de cet Auteur.

Hennin prétend que ces anciens accens, inventés par Aristophane, s’accordoient parfaitement avec la prononciation de la Langue Grecque, au lieu que ceux d’aujourd’hui la détruisent. Il ajoute que les nouveaux Grammairiens Grecs ne les ont inventés, que dans des temps où la Langue Grecque commençoit à tomber, voulant empêcher par-là la mauvaise prononciation que les Barbares y introduisoient ; & il ne leur donne que neuf cens ans d’antiquité, ce qu’il prouve, parce qu’il ne se trouve point de plus anciens Livres manuscrits, où ces accens soient marqués. Lisez sa Dissertation imprimée à Utrecht en 1684, sous le titre de Dissertatio paradoxa, avec celle d’Isaac Vossius qui y est jointe.

Wetstein, Professeur à Bâle, en Langue Grecque, a opposé aux paradoxes de Hennin une savante Dissertation, où il fait voir que les accens qui sont dans les Livres Grecs, soit imprimés, soit manuscrits, ont une bien plus grande antiquité. Il avoue que ces accens n’ont pas toujours été marqués de la même manière que les Anciens, & il en apporte en même temps la raison. Comme la prononciation de la Langue Grecque n’a pas été la même chez tous les peuples, il n’est pas étonnant que les Doriens les aient marqués d’une manière, & les Æoliens d’une autre. De même, ajoute-t-il, un même peuple a prononcé différemment sa Langue en différens temps. Tout ceci se peut confirmer par l’exemple de notre Langue. Il rapporte deux raisons qu’on eut dès ces temps-là de marquer les accens. L’une est qu’on écrivoit alors tout en lettres majuscules, toujours également éloignées les unes des autres, sans distinction de mots, ni de phrases. L’autre est de distinguer les mots ambigus, & qui peuvent avoir deux sens. Il prouve ceci par une dispute sur un endroit d’Homère, rapportée par Aristote dans sa Poëtique, Ch. 25. C’est ainsi que les Syriens, qui ne marquent point les accens toniques, quoiqu’ils aient des accens distinctifs, ont encore inventé certains points, qui se mettent au-dessus ou au-dessous du mot, pour en faire connoître le mœuf, le temps, la personne, ou le sens, & qui étoient très-utiles lorsqu’on écrivoit le Syriac sans voyelles. Cette Dissertation, qui est pleine d’érudition, a été imprimée à Bâle en 1686, sous le titre de Dissertatio epistolica de accentuum Græcorum antiquitate & usu, à la fin de ses Discours apologétiques pour la véritable prononciation de la Langue Grecque.

Il n’est pas possible de fixer exactement le temps auquel les Grecs ont marqué les accens dans leurs Livres. Mais on peut assurer que Hennin & Isaac Vossius ont un peu outré cette matière. Wetstein a aussi trop étendu quelques-unes de ses preuves. De plus, on doit demeurer d’accord que les accens ne sont point marqués dans les Livres Grecs qui ont mille ans d’antiquité. Mais il ne s’ensuit pas de là que ces accens ne fussent point encore dans ce temps-là en usage chez les Grecs. Cela prouve seulement, que la plûpart des Copistes les ont négligés ; & c’est ce qui fait qu’il est très-rare de trouver d’anciens Manuscrits où ils soient marqués. C’est la remarque que M. Simon, qui a lu un grand nombre de Manuscrits Grecs, a faite dans son Histoire


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