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PIERRE QUI ROULE

naient de leur mieux la haine contre les Franco-Canadiens qui, à leurs yeux, avaient le double tort d’être issus d’une nation rivale et de pratiquer une religion dont le seul nom avait pour effet d’horripiler tous ces fanatiques.

« Tels ils étaient alors, tels ils sont restés à peu d’exceptions près. Le croira-t-on ? Loin de nuire à l’essor franco-canadien dans cette partie du pays, le fanatisme anglo-saxon semble plutôt l’avoir accéléré, du moins pendant un certain temps.

« Il se produisait alors dans les Cantons de l’Est un phénomène migratoire qui devait plus tard se manifester dans certaines parties de la province d’Ontario. Resserrés dans nos vieilles paroisses, qui devenaient chaque jour trop étroites pour nos nombreuses familles, les Franco-canadiens devaient nécessairement émigrer quelque part. Comme toujours, la majeure partie prenaient le chemin des États-Unis ; mais ceux qui avaient les moyens de s’établir ailleurs se dirigeaient généralement vers les Cantons de l’Est.

« Une crise financière, pour le moins aussi sérieuse que celle de l’année dernière, sévissait aux États-Unis, ce qui avait déterminé chez nos compatriotes émigrés un mouvement de retour, accentué davantage par la propagande active de la presse canadienne en faveur de la colonisation. J’ai, dans le temps, contribué autant que je l’ai pu à activer l’impulsion donnée à ce courant migratoire.

« Dans certaines parties des cantons anglais, on offrait en vente de magnifiques fermes, ayant parfois englouti la fortune de quelque fils de famille qui, attiré par les beautés naturelles de cette région, était venu y vivre en grand seigneur. Manoir élégant, bâtiments superbes, équipages splendides, tout cela était offert à vil prix, et j’ai vu vendre pour $2,000 comptant une ferme qui avait bien coûté $12,000.