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langues vertes, bleues et roses des fours, abandonnèrent dans les cuves les métaux liquides, et, la peau cuite et humide sous la blouse brûlée, le fer sur l’épaule, ils quittèrent leurs enfers multicolores et gazeux et rejoignirent les pèlerins. Les verriers laissèrent leurs bulles inachevées et, gardant leurs yeux hagards, se mêlèrent aux autres. Les carriers, crottés d’argile et les doigts bagués de loques, virent la procession du haut de leurs rochers et, la maquette sur l’épaule, mieux à l’aise, vivant dans l’oxygène, désertèrent les chantiers où s’abattirent les corneilles. Les chaufourniers, la face rongée par la chaux, habillés en pierrots, le long tisonnier sur l’épaule, se mirent en route : les fours eurent une brusque secousse et vomirent de la houille et des étincelles. Les hommes des fabriques quittèrent les salles surchauffées et empoisonnées, respirèrent à pleins poumons l’air tonique du dehors, s’orientèrent, et leur colonne s’ébranla. Les laboureurs, aux premières sonneries des cloches, s’étaient essuyé le front, avaient ramassé leurs outils et leur gourde, et suivi les grand’routes qui mènent à la ville.

Les trains s’étaient arrêtés. Les bateliers avaient amarré leurs allèges. Des fours explosaient et incendiaient les usines.

Tous ensemble, les pèlerins s’étaient mis en marche, les yeux extatiques levés vers l’Etoile. Leurs costumes étaient divers, leurs langages aussi, mais ces hommes avaient tous les mains saignantes, les reins affaissés, la marche lourde et déhanchée, le dos courbé, les souliers ferrés. Ils marchaient. Comme au temps des invasions, les femmes et les enfants suivaient.

Ils emmenaient les voitures qu’ils avaient construites de leurs mains, pleines des vivres et des matériaux qu’ils avaient fabriqués de leurs mains.

Les travailleurs laissaient le monde silencieux, paralysé