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D’UN SEIGNEUR’BUSSE. 95

Tu as un bateau, lui dis-je’ !

— Oui, répondit-il d’une voix rauque et entrecoupée de lioquets, mais il est bien mauvais. — Qu’est-ce qu’il a donc ’ !

— Les planches se sont disjointes et les bouchons des trous à chevilles ont sauté.

— Le mal n’est pas grand, dit Ermolai ; avec du chanvre ensuiiïé on peut boucher tout cela. ’ —Ah ! oui sûrement, ayez du chanvre et du suit’, ça se trouve.

—Qui es-tu ? ton métier ? ’

— Je suis le pêcheur de notre dame. — Beau pêcheur, qui ne tient pas un bateau en rivière ! — A quoi bon, si dans la rivière il n’y a pas de poisson. — Le poisson n’aime pas le goût de rouille des eaux de marais, dit majestueusement mon chasseur. — Eh bien, dis-je à Ermolaî, va donc acheter le chanvre qu’il faut et radoube-nous vite le radeau. ·• Ermolaî partit ; j’ajoutai ; « Après cela nous partirons, nous arriverons aux roselières et.... nous coulerons tous ensemble. - Dieu nous garde ! dit Vladimir, dont je suspectais le courage ; en tout cas, il est probable que l’étang n’est pas bien profond..

— Non, pas profond, non, fit Soutchok, qui parlait habituellement comme un lourdaud qui ne peut parvenir à se réveiller ; mais il y à une vase énorme sous des herbes longues, vivaces et fortes.... et puis, il y a aussi des fosses. — Ah çà, si l’herbe est si forte, dit Vladimir, il n’y aura pas moyen de ramer.

— Eh ! qui est-ce qui rame sur des radeaux ! On pousse à la perche. J’irai -avec vous, j’ai là-bas une bonne perche. Et puis on se sert aussi d’une pelle. — Une pelle n’est bonne à rien., dit Vladimir. Il y a bien peu d’endroits où l’on puisse toucher le fond avec une méchante bêche.

—C’est vrai, » dit le rustre pour couper court. Ie m’adossai au tombeau du noble émigré, dans l’attente