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le nom de sa sœur… Alors je ne pouvais le voir ouvertement… Des bruits commençaient à se répandre… Il existait encore des obstacles, il n’était pas libre.

Ces obstacles ont disparu ; mais celui dont le nom devait être le mien, celui avec lequel vous m’avez vue m’a repoussée. Elle fit un mouvement de la main et se tut.

– Réellement, ne le connaissez-vous pas ? reprit-elle ; ne l’avez-vous jamais rencontré ?

– Jamais.

– Il a passé presque tout ce temps-ci à l’étranger. Du reste, il est maintenant ici… Voilà toute mon histoire, continua-t-elle ; vous voyez qu’il n’y a rien de mystérieux, rien de surprenant.

– Mais… Sorrente ? lui demandai-je timidement.

– C’est à Sorrente que je l’ai connu, répondit-elle lentement ; et elle retomba dans le silence et la rêverie.

Nous nous regardions tous deux. Une étrange agitation s’emparait de tout mon être. J’étais assis à côté d’elle, à côté de cette femme dont le souvenir s’était si souvent présenté à mon imagination et m’avait si douloureusement bouleversé et irrité. J’étais assis à côté d’elle, et je me sentais le cœur oppressé et glacé. Je savais que rien ne résulterait de cette rencontre, qu’il y avait un abîme entre elle et moi, qu’une fois séparés nous ne nous retrouverions plus jamais. La tête levée, les deux mains posées sur ses genoux, elle était assise calme et indifférente. Je connais cette indifférence