Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/347

Cette page n’a pas encore été corrigée


Elle écouta cette explication confuse, sans lever la tête.

– Que voulez-vous donc de moi ? dit-elle enfin.

– Moi ?… je ne veux rien. Je suis assez heureux déjà… Je respecte trop les secrets d’autrui…

– Pourtant, il semblerait… Du reste, continua-t-elle, je ne veux pas vous faire de reproches. Tout autre à votre place aurait agi de même. Et d’ailleurs le hasard nous a réellement rapprochés avec tant de persévérance, que cela vous donne quelques droits à ma franchise. Écoutez : je ne suis pas du nombre de ces femmes incomprises et malheureuses qui vont au bal masqué pour faire part de leurs souffrances au premier venu, et qui sont à la recherche d’un cœur sympathique. Je n’ai pas besoin de sympathie ; mon propre cœur est mort, et je ne suis venue ici que pour l’enterrer définitivement.

Elle porta son mouchoir à ses lèvres.

– J’espère, ajouta-t-elle avec quelque effort, que vous ne prendrez pas mes paroles pour quelque vulgaire épanchement de bal masqué. Vous devez comprendre que je n’ai pas la tête à cela.

Il y avait en effet quelque chose de terrible dans sa voix malgré la douceur insinuante du timbre.

– Je suis Russe, dit-elle dans sa langue (elle s’était jusque là exprimée en français), quoique j’aie peu vécu en Russie… Il est inutile que vous sachiez mon nom. Anna-Fédorovna est une de mes anciennes amies ; je suis réellement allée à Michaïlovskoë sous