Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/304

Cette page n’a pas encore été corrigée

seule fois connu le bonheur, sans s’être dilaté une seule fois sous la douce pression de la joie ! Hélas ! c’est impossible, c’est impossible, je le sais… Si du moins, à cette heure, au moment de la mort, – la mort est pourtant une chose sainte, elle élève le plus petit d’entre nous, – si du moins quelque voix triste et amicale me chantait le chant d’adieu de mes propres douleurs, peut-être me réconcilierais-je avec elles… Mais mourir sourdement, sottement… Je crois que je commence à délirer.

Adieu la vie ! adieu mon jardin, et vous, mes tilleuls ! Quand viendra l’été, n’oubliez pas de vous couvrir de fleurs du haut en bas… Et que ceux qui vivent viennent joyeusement s’étendre sur l’herbe fraîche, à votre ombre odoriférante, au murmure de vos feuilles légèrement agitées par le vent ! Adieu, adieu ! adieu à tous et pour toujours !

Adieu, Lise ! J’ai écrit ces deux mots, et je puis à peine m’empêcher de rire. Cette exclamation me semble tirée d’un livre. J’ai l’air de composer une nouvelle sentimentale, ou de terminer une lettre désespérée…

C’est demain le 1er avril. Se peut-il que je meure demain ? Ce ne serait pas même convenable. Du reste, cela me va… Comme le médecin m’a tracassé aujourd’hui !…

1er avril.

C’est fini… ma vie est éteinte. Je mourrai certainement aujourd’hui. Il fait chaud dehors, il fait presque