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confiant, une question… Mais Lise tenait les yeux baissés et se taisait. Je répétai encore à demi-voix : « Pourquoi ? » et restai sans réponse. Je voyais qu’elle était gênée et presque honteuse.

Un quart d’heure après, nous étions assis tous les quatre dans la voiture et nous nous approchions de la ville. Les chevaux couraient d’un trot régulier ; nous roulions rapidement à travers l’air frais et obscur. Je me mis à causer, m’adressant toujours soit à Besmionkof, soit à Mme Ojoguine. J’évitais de tourner les yeux vers Lise, mais je pouvais remarquer qu’enfoncée dans un coin de la voiture, ses regards erraient çà et là, et ils s’arrêtèrent plus d’une fois sur moi. Arrivée à la maison, elle reprit son empire sur elle-même ; mais elle ne voulut cependant continuer notre lecture, et elle alla se coucher de bonne heure. La crise, cette crise dont j’ai parlé, venait de s’accomplir en elle. Elle avait cessé d’être une enfant, elle aussi commençait à attendre… comme moi. Elle n’attendit pas longtemps.

Je rentrai ce soir-là avec un enchantement dans le cœur. Quelque chose de vague qui avait germé en moi comme un pressentiment, comme un soupçon, s’évanouit soudain. Je mis sur le compte de la pudeur virginale et de la timidité cette subite contrainte que j’avais remarquée dans la manière d’être de Lise vis-à-vis de moi… N’avais-je pas lu mille fois, et dans beaucoup d’ouvrages, que la première apparition de l’amour trouble et effraie une jeune fille ? Je me sentais