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effort, comme l’eau déborde d’un vase trop plein. Je me mettais aussi à pleurer, et il me consolait. Il pressait mes mains entre les siennes, et ses lèvres tremblantes me couvraient de baisers. Voilà déjà plus de vingt ans qu’il est mort, et pourtant chaque fois que je pense à mon pauvre père, des sanglots muets me montent au gosier, et mon cœur bat dans ma poitrine ; il bat avec tant de chaleur et d’amertume, il est accablé d’une si douloureuse compassion, qu’on croirait qu’il lui reste encore longtemps à battre et à regretter.

Ma mère au contraire était toujours la même pour moi, bienveillante, mais froide. On rencontre souvent dans les livres écrits pour les enfants des mères toutes semblables, morales et justes. Elle m’aimait, mais je ne l’aimais pas. Oui, j’évitais ma mère vertueuse, et j’aimais passionnément mon père vicieux.

Mais c’est assez pour aujourd’hui. Le commencement est fait ; quant à la fin et à ce qui en adviendra, je ne m’en inquiète guère. C’est l’affaire de ma maladie.

21 mars.

Le temps est magnifique aujourd’hui, il est chaud et serein ; le soleil se joue gaiement sur la neige qui fond. Tout reluit, fume et se dissout ; les moineaux crient comme affolés autour des haies sombres et humides : un air tiède m’irrite la poitrine et me cause une sensation à la fois douce et pénible.