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vient une idée. J’ai assez de savoir, me dis-je, et j’ai le désir du bien ; tu ne me contesteras pas, je l’espère, ce désir du bien ?

— Loin de là.

— Tous mes autres projets n’avaient pas réussi. Un jour donc je me demandai pourquoi, au lieu de vivre dans une glorieuse oisiveté, je n’essaierais pas de me faire professeur.

Roudine s’arrêta et soupira.

— Pourquoi vivre sans rien faire ? continua-t-il. Ne valait-il pas mieux essayer d’enseigner ce que je savais aux autres ? Peut-être en tireraient-ils quelque avantage. Mes facultés ne sont pas ordinaires, puis je possède ma langue… Je me résolus donc à embrasser cette nouvelle carrière. J’eus une peine infinie à trouver une place de professeur dans le gymnase de cette ville.

— Professeur de quoi ? demanda Lejnieff.

— Professeur de belles-lettres russes. Je te dirai que je ne m’étais jamais mis à rien avec tant d’ardeur. L’idée d’agir sur la jeunesse me transportait. Je passai trois semaines à préparer ma première leçon.

— Ne l’as-tu pas sur toi ? demanda Lejnieff.

— Non : je l’ai perdue, je ne sais plus où. Elle réussit assez bien, elle plut même beaucoup. Je vois encore à présent les visages de mes auditeurs, visages