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bien las, mon ami… Enfin, puisque tu le veux… Roulant encore par voies et par chemins, je résolus de devenir, enfin… allons, ne ris pas, je t’en conjure… de devenir un homme actif et pratique. L’occasion la plus favorable s’en présentait : je tombai sur un certain… Peut-être as-tu entendu parler de lui ?… sur un certain Kourbéeff. Tu ne le connais pas ?

— Pas le moins du monde. Mais pour l’amour de Dieu, Roudine, comment, avec ton intelligence, n’as-tu pas compris que ce n’était pas ton affaire de devenir un homme d’affaires ? Pardonne-moi ce jeu de mots.

— Je sais fort bien, ami, que je ne valais rien pour cela ; mais si tu avais vu Kourbéeff ! Ne va pas te figurer d’ailleurs que ce fût un bavard superficiel comme tant d’autres. On a dit autrefois que j’étais éloquent, et pourtant, comparé à lui, je semblais à peine bégayer : c’est un homme d’une science extraordinaire, au fait de tout, un véritable créateur pour ce qui regarde l’industrie et le commerce. Les projets les plus hardis, les plus inattendus, naissaient d’eux-mêmes dans son cerveau. Une fois réunis, nous résolûmes de faire servir nos talents à une entreprise d’utilité publique…

— Je suis curieux de savoir laquelle.

Roudine baissa les yeux.

— Tu vas te moquer !

— Pourquoi cela ? Non, je ne ris pas…

— Il s’agissait de rendre navigable une des rivières