Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/177

Cette page n’a pas encore été corrigée

se séparant, tout le monde comprit qu’on était retombé dans l’ancienne ornière, et ce n’est pas peu de chose.

Oui, l’ancienne existence recommençait pour tous, y compris Natalie elle-même. Demeurée enfin seule, elle se traîna péniblement jusqu’à son lit et, fatiguée, brisée, elle laissa tomber sa tête sur son oreiller.

Vivre lui semblait une chose si amère, si rebutante, si vulgaire ; elle était si honteuse, vis-à-vis d’elle-même, de son amour, de ses tristesses, qu’en ce moment elle aurait probablement consenti à mourir. Elle avait encore devant elle bien des journées accablantes, bien des nuits sans sommeil, bien des agitations pénibles ; mais elle était jeune ! sa vie commençait à peine et, tôt ou tard, l’existence, avec son activité et les distractions inévitables qu’elle apporte, prend le dessus quel que soit le coup dont on est frappé. Quel que soit le coup qui frappe un être humain, il ne peut s’empêcher – lecteur, pardonnez la brutalité de l’expression – de manger le jour même ou le jour suivant, et voilà déjà une première consolation. Natalie souffrait cruellement pour la première fois ; mais ni la première souffrance ni le premier amour ne se renouvellent, et nous devons en remercier Dieu.



XIII



Deux ans environ se sont écoulés. On est aux premiers jours du mois de mai. Alexandra Pawlowna,