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cet homme inconnu et sans position sociale, avait osé donner un rendez-vous à sa fille, à la fille de Daria Michaëlowna Lassounska !

— Admettons qu’il soit un homme d’esprit, un homme de génie même, s’était-elle écriée : qu’est-ce que cela prouve ? À ce compte, le premier venu, sans nom, sans fortune, pourrait donc aspirer à l’honneur de devenir mon gendre ?

— Pendant longtemps je ne pouvais en croire mes yeux, répondait Pandalewski. Je suis étonné qu’il ait de la sorte oublié sa position et la vôtre.

Daria Michaëlowna s’était laissée aller à sa mauvaise humeur et Natalie avait eu beaucoup à souffrir du dépit de sa mère.

Quant à Roudine, il était rentré à la maison aussitôt après sa rencontre avec Lejnieff et s’était enfermé dans sa chambre pour écrire deux lettres.

La première, dont le lecteur a déjà pris connaissance, était adressée à Volinzoff, l’autre à Natalie. Roudine avait employé plus d’une heure à composer cette seconde lettre ; après y avoir fait bien des ratures et bien des changements, il la recopia soigneusement sur un papier extrêmement fin, la plia ensuite en lui donnant le plus petit format possible, et la mit dans sa poche. Ce travail terminé, il s’était promené dans sa chambre, de long en large, le visage empreint de tristesse, puis s’était enfin assis dans un fauteuil auprès de la fenêtre, la joue appuyée sur la main : une larme perlait aux bords de ses paupières.