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du peuple ; qui est simple et en même temps très-habile… Que vous faut-il de mieux ?

« Et ne me dites pas, continua Pakline, qui se lançait de plus en plus, sans s’apercevoir que Machourina avait depuis longtemps cessé de l’écouter, et qu’elle avait recommencé à regarder de côté ; ne me dites pas qu’il y a chez nous en ce moment toutes sortes d’individus : et des slavophiles, et des bureaucrates, et des généraux, simples ou doubles, comme des violettes, et des épicuriens, et des imitateurs, et des toqués ! J’ai connu —par parenthèse — une dame qui s’appelait Fébronie Ristchoff, qui, un beau jour, de but en blanc, devenue légitimiste, assurait à tout le monde qu’à l’heure de sa mort, si on ouvrait son corps, on y trouverait tracé sur son cœur, le nom d’Henri V. Sur le cœur de Fébronie Ristchoff !

« Ne me dites pas tout cela, ma très-respectable amie ; mais croyez que notre seul et véritable chemin, c’est celui que suivent les gens simples, terre à terre et habiles, les Solomine, en un mot ! Souvenez-vous à quel moment je vous dis cela… Je vous dis cela, pendant l’hiver de 1870, au moment où l’Allemagne se prépare à écraser la France, au moment où…

— Sila ! dit tout à coup derrière le dos de Pakline la voix de Snandoulie, il me semble que dans tes jugements sur l’avenir tu oublies notre religion et son influence. Du reste, ajouta-t-elle vivement, Mme Machourina ne t’écoute pas… Tu ferais mieux de lui offrir encore une tasse de thé.

— Ah ! Oui, dit Pakline interloqué, oui, en effet, ne désirez-vous pas ?… »

Mais Machourina, relevant lentement sur lui ses yeux sombres, lui dit d’un air pensif :

« Je voulais vous demander, Pakline, n’auriez-vous pas un peu de l’écriture de Néjdanof, ou sa photographie ?

— J’ai sa photographie… oui ; et pas mauvaise, je crois. Elle est dans le tiroir de la table. Je vais vous la trouver à l’instant. »