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Solomine ? voilà un gaillard. Il a admirablement mené sa barque. Il a quitté son ancienne fabrique, et il a emmené avec lui les meilleurs sujets. Il y en avait un… une fameuse tête, à ce qu’on dit… Il s’appelait Paul… Solomine l’a emmené aussi. À présent, on dit qu’il a une fabrique à lui, pas bien grande, quelque part dans le gouvernement de Perm, et qu’il l’a établie sur le principe de l’association. On peut être sûr que celui-là ne lâchera pas son affaire ! Il fera son trou ! Il a le bec pointu et fort en même temps. C’est un gaillard ! Et surtout, il n’est pas un guérisseur à la minute des plaies sociales. Nous autres Russes, vous savez comment nous sommes ; nous espérons toujours qu’il arrivera quelque chose ou quelqu’un pour nous guérir tout d’un coup, pour assainir nos plaies, pour nous enlever toutes nos maladies comme on arrache une dent gâtée. Qui sera ce magicien ? Est-ce le darwinisme ? Est-ce la commune rurale ? Est-ce Arkhip Pérépentief ? Est-ce une guerre étrangère ? —Peu importe ; seulement, bienfaiteur, arrache-nous notre dent ! Au fond, tout cela veut dire : paresse, manque d’énergie et de réflexion ! Mais Solomine n’est pas de cet acabit ; il n’arrache pas les dents, lui, c’est un gaillard ! »

Machourina fit de la main un geste qui voulait dire : « Ainsi donc en voilà un d’enterré. »

« Et cette jeune fille, demanda-t-elle, j’ai oublié son nom, qui était partie avec lui, avec Néjdanof ?

— Marianne ? Mais justement elle est mariée avec ce Solomine. Il y a plus d’un an qu’elle est mariée. Au commencement c’était pour la forme, mais à présent, on dit qu’elle est devenue sa femme pour tout de bon. Oui ! »

Machourina fit le geste qu’elle avait fait à propos de Solomine.

Autrefois, elle avait eu de la jalousie contre Marianne parce qu’elle aimait Néjdanof ; à présent, elle s’indignait de ce qu’elle avait pu trahir ainsi son souvenir…

«