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Repentir sincère de tes erreurs, aveux complets, sans restriction, qui seront portés à qui de droit…

— Votre Excellence, dit tout à coup Markelof en se tournant vers le gouverneur (sa voix aussi était calme, quoique un peu enrouée), je supposais que vous aviez voulu me voir pour m’interroger de nouveau… Mais si vous ne m’avez appelé que sur le désir de M. Sipiaguine, ordonnez, je vous prie, qu’on me remmène : nous ne pouvons pas nous entendre. Tout ce qu’il me dit est du latin pour moi.

— Permettez… du latin ! intervint Kalloméïtsef d’un ton aigre et glapissant. Est-ce du latin aussi, de soulever les paysans ? C’est du latin, dites ? C’est du latin ?

— Votre Excellence, ce monsieur-là serait-il chez vous un employé de la police secrète ? Il a tant de zèle ! » dit Markelof, pendant qu’un faible sourire de contentement passait sur ses lèvres pâlies.

Kalloméïtsef grinça des dents, frappa du pied… Le gouverneur l’arrêta :

« C’est votre faute ! Pourquoi vous mêler d’une affaire qui ne vous touche pas ?

— Qui ne me touche pas !… qui ne me touche pas !… Il me semble que c’est notre affaire à tous, nous autres gentilshommes ! »

Markelof enveloppa Kalloméïtsef d’un regard froid et lent, —c’était comme le dernier regard qu’il lui adresserait jamais, — puis se détourna légèrement du côté de Sipiaguine :

« Quant à vous, mon cher beau-frère, si vous voulez que je vous explique mes idées, les voici : je reconnais que les paysans avaient le droit de m’arrêter et de me livrer, puisque mes discours ne leur plaisaient pas. Ils étaient libres de le faire. C’est moi qui allais à eux, et non eux à moi. Et si le gouvernement m’envoie en Sibérie, je ne murmurerai pas, bien que je ne me croie nullement coupable. Le gouvernement fait son métier, il se défend. Cela vous suffit-il ? »