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attendre que je sois digne de ton amour, et pardonne-moi. »

« Je t’ai donné, ma parole, et je ne sais pas y manquer.

— Merci… adieu. »

Il sortit ; Marianne s’enferma dans sa chambre.


XXX


Quinze jours après, dans ce même logement, Néjdanof, penché sur sa table à trois pieds, à la pauvre et terne lueur d’une chandelle de suif, écrivait à son ami Siline. La nuit était déjà fort avancée. Sur le divan, sur le plancher, gisaient les diverses pièces, ôtées à la hâte, d’un vêtement tout maculé ; une petite pluie incessante glissait sûr les vitres des fenêtres ; et de larges bouffées d’un vent très-tiède couraient par moments sur les toits, comme de grands soupirs.

« Mon cher Vladimir, je t’écris sans mettre d’adresse, et ma lettre sera même confiée à un exprès qui la mettra à la poste dans une station éloignée ; car ma présence ici est un secret ; et livrer ce secret, ce serait perdre une autre personne avec moi. Qu’il te suffise de savoir que je me trouve dans une grande fabrique, avec Marianne, depuis quinze jours. Nous nous sommes enfuis de chez Sipiaguine le jour même où je t’ai écrit. Nous avons reçu l’hospitalité ici chez un ami que j’appellerai Vassili ; il est à la tête de la fabrique ; c’est un très-brave homme. Notre séjour ici n’est que temporaire. Nous y resterons en attendant le moment d’agir ; il est vrai qu’à en juger par ce qui se passe, ce moment-là n’est pas près d’arriver. Mon cher Vladimir, je me sens triste, bien triste.

« Avant tout, je dois te dire une chose : quoique je me sois enfui avec Marianne, nous sommes encore, elle