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rire, d’un bon rire, qui, loin d’être blessant, mit tout le monde en gaieté.

Mais Néjdanof se leva vivement.

« Je pars, dit-il, à l’instant même ; car enfin, tout ça est très-gentil, mais nous avons un peu l’air de jouer un vaudeville avec changement de costumes.

— Sois tranquille, ajouta-t-il en se tournant vers Solomine, on ne touchera pas à ta fabrique. Je vais rôder dans les environs, je reviens, et je te raconterai, à toi, Marianne, mes aventures, si tant est que j’aie quelque chose à raconter. Donne-moi la main pour me porter bonheur.

— Si vous preniez un peu de thé, avant ? lui demanda Tatiana.

— Non, à quoi bon perdre du temps à ça ? — Si j’en ai envie, j’entrerai dans une auberge ou bien dans un cabaret. »

Tatiana secoua la tête.

« Au jour d’aujourd’hui, sur nos grandes routes, il y a autant de cabarets que de puces dans une pelisse de mouton. Il y a de grands villages partout… et qui dit village, dit cabaret !

— Adieu, au revoir… À revoir la compagnie, » reprit Néjdanof, entrant dans son rôle. Mais il n’était pas encore arrivé à la porte, lorsqu’il vit Paul surgir sous son nez, de l’ombre du corridor, et lui présenter un long et mince bâton de pèlerin dont l’écorce était taillée en spirale dans toute sa longueur, — en lui disant :

« Veuillez prendre ceci, Alexis Dmitritch, pour vous appuyer dessus pendant la route, et plus vous poserez ce bâton loin de vous, plus ce sera la chose. »

Néjdanof prit le bâton sans rien dire, et sortit ; — Paul sortit derrière lui. — Tatiana voulait aussi s’en aller, mais Marianne s’approcha d’elle et la retint.

« Attendez, Tatiana, j’ai besoin de vous.

— Je reviens tout de suite, je vais seulement chercher le samovar. Votre compagnon est parti sans prendre du