— C’est ce qu’il m’a semblé.
— Et cependant, tu comptes le trouver chez lui ?
— Certainement.
— Ah ! »
Marianne baissa les yeux et laissa tomber ses bras.
« Tiens ! voilà Tatiana qui nous apporte le dîner ! s’écria-t-elle tout à coup. Quelle excellente femme ! »
Tatiana parut, portant les couverts, les serviettes, la vaisselle. En mettant la table, elle raconta ce qui s’était passé à la fabrique.
« Le patron est arrivé de Moscou « par la machine », et il s’est mis à courir par tous les étages comme un excommunié ; il ne comprend rien de rien à tout ça ; mais c’est pour l’effet, pour l’exemple. Solomine est avec lui comme avec un enfant : le patron a voulu lui faire une contrariété, mais Solomine lui a donné sur le nez. « Je lâche tout, lui a-t-il dit, et tout de suite ! » Alors le patron a baissé l’oreille ! Et comment ! À présent ils dînent ensemble. Le patron a amené avec lui un compagnon : celui-là admire tout. Ça doit être un homme d’argent, ce compagnon ; il se tait presque tout le temps, il branle seulement la tête. Un gros homme, très-gros ! Un gros bonnet de Moscou. Le proverbe a bien raison de dire : Moscou est au fond de l’entonnoir, tout y roule. »
— Comme vous remarquez bien toute chose ! s’écria Marianne.
— Mais oui, j’ai l’œil ouvert, répondit Tatiana. Voilà votre dîner prêt. Mangez de bon appétit. Et moi, je vais, m’asseoir un peu et vous regarder. »
Les jeunes gens se mirent à table ; Tatiana s’assit, la joue appuyée sur la paume de la main, dans l’embrasure de la fenêtre.
« Je vous regarde, répéta-t-elle. Comme vous êtes petiots et faiblots, tous deux ! C’est si bon de vous regarder, si bon, que ça fait presque peine ! Ah ! mes gentils pigeons ! vous prenez un fardeau trop lourd pour vos