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comme une républicaine… ni plus ni moins que vous. Écoutez : à parler bien franchement, je n’ai jamais eu de tendresse maternelle pour vous, et, du reste, il n’est pas dans votre caractère que vous le regrettiez… mais je savais, je sais que j’ai de grands devoirs envers vous, et je me suis toujours efforcé de les remplir. Peut-être le parti auquel j’avais songé pour vous, et à propos duquel, mon mari et moi, nous n’aurions reculé devant aucun sacrifice, peut-être ce parti ne répondait-il pas complètement à vos idées… mais, croyez-le, au fond de mon cœur… »

Marianne regardait Valentine, ces yeux magnifiques, ces lèvres roses, imperceptiblement peintes, ces mains blanches avec leurs doigts couverts de bagues et légèrement écartés, que la belle dame pressait d’une façon si expressive sur le corsage de sa robe de soie… Elle l’interrompit brusquement :

« Un parti, dites-vous, un parti, cet homme vil et sans âme qui s’appelle Kalloméïtsef ?

Valentine retira ses doigts de dessus son corsage.

« Oui, Marianne, je parle de M. Kalloméïtsef, de ce jeune homme excellent et parfaitement bien élevé, qui fera certainement le bonheur de sa femme, et qui ne peut être refusé que par une folle ! Par une folle !

— Que faire, ma tante ? il faut croire qu’en effet, je suis folle.

— Mais encore une fois, sérieusement, qu’est-ce que tu peux lui reprocher ?

— Oh ! rien absolument. Je le méprise, voilà tout. »

Valentine secoua la tête à droite et à gauche d’un air d’impatience, et se laissa retomber dans son fauteuil.

« Ne parlons plus de lui. Retournons à nos moutons. Ainsi, tu aimes Néjdanof ?

— Oui.

— Et tu as l’intention de continuer… tes entrevues avec lui ?

— Oui, bien arrêtée…