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dans une compagnie où l’on s’est bien ennuyé ; après les soudaines poignées de main, les sourires et les nasillements amicaux que commande l’usage, les visiteurs et leurs hôtes, aussi fatigués les uns que les autres se séparèrent.

Solomine, qu’on avait mis dans une des plus belles chambres, sinon la plus belle, du deuxième étage, avec toilette à l’anglaise et salle de bain, alla trouver Néjdanof.

Celui-ci commença par le remercier chaudement d’avoir consenti à rester.

« Je sais, lui dit-il, que c’est pour vous un sacrifice…

— Allons donc ! lui répondit Solomine avec sa manière tranquille ; quel sacrifice y a-t-il là ? Du reste, je ne pouvais pas vous refuser ça, à vous.

— Pourquoi donc ?

— Parce que je vous ai pris en amitié, voilà tout. »

Néjdanof se montra aussi heureux que surpris ; Solomine lui serra la main ; puis il se mit à cheval sur une chaise, alluma un cigare, et les deux coudes appuyés sur le dossier :

« Voyons, dit-il, de quoi s’agit-il ? »

Néjdanof se mit aussi à cheval sur une chaise, mais n’alluma pas de cigare.

« De quoi il s’agit ? Il s’agit que je veux m’enfuir d’ici.

— Vous voulez quitter cette maison ? Eh bien, à la grâce de Dieu !

— Non pas la quitter… mais m’enfuir.

— On vous retient donc ici ? Est-ce que, par hasard, vous auriez pris de l’argent d’avance ? En ce cas, dites un mot… Je me ferai un plaisir…

— Vous ne me comprenez pas, mon cher Solomine… j’ai dit : fuir, et non partir, parce que je ne m’en vais pas seul. »

Solomine releva la tête.

« Avec qui donc ?