Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/212

Cette page n’a pas encore été corrigée

un grand succès n’importe où, à Pétersbourg, dans une section de ministère ou même plus haut ; — mais il ne produisit pas la plus légère impression sur Solomine.

« Les nobles ne peuvent pas manier ces sortes de choses, répéta-t-il encore une fois.

— Mais pourquoi donc ? pourquoi ? cria presque Kalloméïtsef.

— Parce que les nobles sont de véritables employés, des « tchinovniks. »

— Des tchinovniks ? »

Kalloméïtsef eut un ricanement caustique.

« Vous ne vous rendez probablement pas compte, monsieur Solomine, de ce que vous avez bien voulu dire ? »

Solomine continuait de sourire :

« Pourquoi pensez-vous cela, monsieur Kolomentsof ? (Kalloméïtsef fit un soubresaut en entendant « mutiler » ainsi son nom.) — Soyez sûr que je m’en rends parfaitement compte toujours.

— Alors, expliquez ce que vous entendez par cette phrase.

— Voici : à mon point de vue, tout « tchinovnik » est et fut toujours un étranger, un intrus ; et les nobles, actuellement, sont devenus des étrangers et des intrus. »

Kalloméïtsef se mit à rire de plus belle.

« Veuillez m’excuser, mon cher monsieur, mais je ne comprends rien du tout à ce que vous avancez là.

— Tant pis pour vous. Faites un effort… et vous comprendrez peut-être.

— Monsieur !

— Messieurs, messieurs ! se hâta de dire Sipiaguine, en se donnant l’air de chercher des yeux quelqu’un qu’il ne trouvait pas. Je vous en prie… de grâce !… Kalloméïtsef, je vous supplie de vous calmer. Mais le dîner doit être prêt, ou peu s’en faut. Suivez-moi, je vous en prie, messieurs. »

Cinq minutes après, Kalloméïtsef, entrant comme une