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avait mis à la glace un nombre convenable de bouteilles de champagne.

Le maître de la maison reçut ses hôtes avec les grimaces, l’allure gauche et précipitée et les éclats de rire forcé qui lui étaient habituels ; il fut enchanté de la venue de Pakline, comme celui-ci l’avait prédit, et se borna à dire :

« Il est des nôtres, n’est-ce pas ? »

Puis il s’écria, sans attendre la réponse :

« Ça va sans dire ! »

Ensuite il raconta qu’il venait de chez ce « toqué » de gouverneur, qui le tourmentait constamment à propos d’on ne savait quelles diables d’institutions de bienfaisance !…

En réalité, il eût été difficile de dire ce qui enchantait le plus Golouchkine : l’honneur d’être reçu chez le gouverneur ou le plaisir de dire du mal de ce personnage en présence de jeunes gens du parti avancé. Puis il leur présenta le prosélyte promis, qui se trouva être précisément l’individu bien léché, à l’air phthisique, au museau proéminent, qui était venu le matin parler à l’oreille de Golouchkine, et que celui-ci nommait Vassia, en un mot, son commis.

« Il n’est pas éloquent, fit observer Golouchkine en le désignant des cinq doigts à la fois, mais il est dévoué à notre œuvre de toute son âme. »

Et Vassia saluait, rougissait, battait des paupières, souriait en montrant ses dents, tout cela d’un tel air qu’on ne pouvait pas non plus deviner si on avait affaire à un simple imbécile ou à la crème des fripons.

« En attendant, à table, messieurs, à table ! » s’écria l’amphitryon.

On se mit à table après s’être solidement lestés de hors-d’œuvre.

Aussitôt après l’« oukha », Golouchkine fit verser du champagne qui tombait à gros grumeaux dans les verres, semblables à du suif gelé.

« À