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dite, sa maison était remplie de valetaille et de parasites, qu’il accueillait non par libéralité, mais à cause de cette inextinguible soif de popularité qui le consumait, et aussi pour avoir des gens à commander et devant qui poser.

« Mes clients ! » disait-il avec fierté. Il ne lisait jamais, mais il retenait à merveille les expressions savantes.

Les trois jeunes gens trouvèrent Golouchkine, dans son cabinet. Enveloppé dans un grand paletot, un cigare à la bouche, il faisait semblant de parcourir le journal. En les apercevant, il bondit, alla à droite, alla à gauche, rougit, cria qu’on apportât bien vite une collation, fit une question, éclata de rire à propos d’autre chose, —tout cela à la fois !

Il connaissait deux de ces jeunes gens ; Néjdanof seul était pour lui un nouveau visage. En apprenant qu’il était étudiant, Golouchkine éclata de rire une seconde fois, lui serra de nouveau la main et s’écria :

« Bravo ! bravo ! excellente recrue !… science, c’est lumière ; ignorance, c’est ténèbres ! Pour ma part, je n’ai pas eu d’instruction pour un liard, mais je comprends les choses, parce que je vais droit au but ! »

Néjdanof crut s’apercevoir que Golouchkine était embarrassé… qu’il avait peur… Il voyait parfaitement juste. À l’aspect de tout nouveau visage, Golouchkine se disait :

« Tiens-toi bien, Kapitone, ne donne pas du nez dans la boue ! »

Il se remit pourtant assez vite, et avec sa manière bégayante, embrouillée et hâtive, commença à parler du mystérieux Vassili Nikolaïevitch, de son caractère, de la nécessité de la pro… pa… gan… de (il connaissait aussi très-bien ce mot, qu’il prononçait pourtant avec lenteur) ; d’un nouvel adhérent fort sérieux qu’il avait découvert, lui, Golouchkine ; le moment, selon lui, était maintenant proche, tout était prêt pour le… pour le coup de bistouri (en disant ce mot il regarda Markelof, qui ne remua même pas les sourcils) ; puis, se tournant vers