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moi aussi, être utile à votre œuvre, que je suis prête à faire tout ce qui sera nécessaire, à aller où l’on m’ordonnera d’aller ; que j’ai toujours, et de toute mon âme, désiré ce que vous désirez, vous ! »

Elle aussi se tut. Un mot de plus, — et des larmes d’attendrissement auraient jailli de ses yeux. Sa forte nature était subitement devenue molle comme de la cire. La soif de l’action, du sacrifice, — du sacrifice immédiat, la consumait à présent.

En ce moment, derrière la porte se firent entendre des pas, — des pas furtifs, légers et rapides.

Marianne se redressa vivement, dégagea ses mains. Elle avait changé complètement, elle était devenue presque gaie. Un je ne sais quoi de dédaigneux et de hardi passa rapidement sur son visage :

« Je sais qui nous épie en ce moment, — dit-elle d’une voix si haute, que l’écho du corridor renvoyait chacune de ses paroles, — c’est madame Sipiaguine qui nous écoute… Mais cela m’est absolument égal. »

Le léger bruit de pas cessa.

« Eh bien ! dit Marianne à Néjdanof : Que dois-je faire ? Comment puis-je vous être utile ? Parlez, parlez vite… Que dois-je faire ?

— Je ne sais pas encore, répondit Néjdanof… J’ai reçu de Markelof une lettre…

— Quand cela ? Quand ?

— Ce soir. Il faut que j’aille demain avec lui à la fabrique de Solomine.

— Oui… oui… Quel excellent homme, que ce Markelof ! Quel ami véritable !

— Comme moi ? »

Marianne regarda Néjdanof en plein visage.

« Non… pas comme vous.

— Et comment, alors ? »

Elle se détourna.

« Ah ! ne savez-vous pas ce que vous êtes devenu pour moi, et ce que j’éprouve en ce moment ? »