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bonheur était de manger beaucoup d’oseille en cachette pour donner des coliques à Millie ; et quand elle voyait celle-ci se lever précipitamment et sauter sur un numéro du Gaulois, elle se tordait de rire et refusait de bouger, en lui disant : Tiens !… je ne suis pas forcée d’être à tes caprices… tu peux bien attendre demain matin. — Tant qu’elles furent enfants, les inconvénients de leur union n’eurent pas une extrême gravité ; mais lorsqu’elles devinrent femmes, les écueils ne tardèrent pas à prendre un tout autre caractère. Une aventure dramatique, et que nos romanciers ne manqueront pas d’exploiter, faillit avoir pour elles un dénouement terrible. Un jour, un jeune nègre de la localité qu’habitaient leurs parents eut l’occasion de venir plusieurs fois dans la famille. Il s’éprit violemment de Millie et finit par demander sa main. Millie, de son côté, n’avait point été insensible aux œillades de son amoureux, et les choses semblaient devoir s’arranger au mieux. Mais un fatal obstacle allait se dresser entre les deux amants. Le petit dieu malin n’avait visé qu’un cœur, et, sans le vouloir, en avait percé deux. Christine aussi se mourait d’amour pour le prétendu de sa sœur !… Christine avait bon cœur, elle proposa à. Millie le partage de l’objet adoré ; elle offrait même d’avantager sa sœur de tous les 29 février des années bissextiles. Millie refusa avec fierté. Alors Christine prit une sombre résolution. Le lendemain, on lunchait en famille, l’amoureux se tenait près de sa fiancée, buvait son regard en lui passant les sandwichs. Christine se pencha à l’oreille de sa sœur et lui dit tout bas d’une voix fébrile : « Part à deux !… il est temps encore !… — Non !… répondit énergiquement Millie. — Eh bien !… reprit Christine d’un ton résolu… tu l’as voulu !… il ne sera ni à l’une ni à l’autre !… — Et saisissant l’instant où l’amoureux murmurait tendrement à l’oreille de sa promise : M’aimez-vous ?… Christine profita perfidement de ce qu’elle avait à sa disposition une des deux clefs de la porte commune donnant sur les champs et l’ouvrit avec un tel fracas que toute l’assistance en fut couverte de confusion. La pauvre Millie, rouge de honte, n’essaya même pas de se justifier, et son fiancé, vexé d’un tel procédé, se retira en saluant froidement. — Dans la nuit, Millie, désespérée, se leva, s’habilla doucement pour ne pas réveiller sa sœur, et courut vers la rivière dans l’intention de se détruire ; mais le froid de l’eau réveilla Christine, qui, après avoir plongé neuf fois, fut assez heureuse pour saisir Millie par les cheveux et la ramener au bord. — Christine demanda pardon à sa sœur d’avoir fait manquer son mariage, et tout fut oublié. — Après une telle secousse, il leur tarda de quitter le lieu qui avait été témoin de ce drame, et elles profitèrent de l’offre que leur fit un Barnum peur venir se montrer a Paris, où elles se sont installées vers le mois de novembre 1873. C’est au cirque des Champs-Élysées que le public parisien est appelé à visiter ce phénomène. Quelques hommes de science grincheux n’ont pas craint d’insinuer que les sœurs Millie-Christine n’étaient pas plus nées