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plus célestes traits, c’est le vide de la terre qui le fait déployer son essor vers ces hauteurs fortunées : il est peintre de la santé, parce qu’il est malade ; de l’été, parce qu’il erre sur les glaces ; des eaux fraîches, parce que tout est aride alentour. Le malheureux goûte quelques instants d’ivresse, et il nous fait boire à sa coupe. Pour nous le nectar, pour lui la lie.

Mais voici qu’à ce propos je découvre une pensée honteuse qui se cache derrière un repli de mon cerveau : c’est la pensée que je suis bien aise, pour mes plaisirs, qu’il ait existé de ces âmes souffrantes… que des infortunés aient vécu de peines durant de longues années, pour laisser quelques pages, quelques strophes qui me charment, qui m’émeuvent un instant !… Profond égoïsme du cœur, cruauté du plaisir qui s’immole tout à lui-même ! Mais aussi… Racine épicier ! Virgile détaillant !… Non, je n’ai pas encore assez de sens, sur mon crâne chenu n’ont pas passé assez d’années encore. Un jour viendra, et trop tôt, où, plus sensé, non moins égoïste, je tiendrai ce propos devant les jeunes hommes. Et la pensée que je radote, s’élevant dans leur cerveau, s’épandra sur leur front, et ne s’arrêtera que sur leurs lèvres.




Il y a dans le cerveau beaucoup de ces pensées honteuses qui se cachent par pudeur, qui se taisent crainte de se faire honnir, qui parfois, venant à surgir hors de leur cachette, font circuler la rougeur sur les fronts honnêtes. Un jour, un homme fit une battue dans son propre cerveau ; il en sonda les replis ; il chercha dessus, dessous ; il visita les plus obscurs recoins ; et, de ce qu’il trouva, fit un livre, le livre des Maximes, mi-