naissent leurs sublimes pages. Ainsi ce sont les vents orageux qui tirent de si doux sons de cette harpe solitaire.
Je m’étonne donc moins d’avoir ouï dire à un homme de sens qu’il vaut mieux être l’épicier du coin que le poëte du monde ; Giraud, que Dante Alighieri.
Cette idée que je me fais du poëte, elle est si vraie, que voyez, je vous prie, à quoi prétendent tout d’abord ceux qui aspirent à cette vocation. N’est-ce point à ce trouble, à ces peines, à ce riche chaos, si possible ? Ainsi que l’on singe la vertu par des paroles de sainteté, ils singent, eux, la poésie par des paroles de tristesse, d’angoisse, d’ineffables douleurs ; ils souffrent dans leurs vers, ils gémissent dans leurs vers, ils y traînent à vingt ans un reste éteint de vie décolorée, ils y meurent : presque tous commencent par là. Ah ! mon ami, il n’est pas si facile que tu penses d’être triste, malheureux, affligé ; d’être tourmenté de désirs, fasciné d’extase ; de décolorer sa vie, de mourir comme Millevoye ! Ôte donc ton masque, que nous voyions ta face réjouie. Pourquoi, pourquoi, mon gros camarade, ne pas suivre ta nature ? Quel avantage si grand trouves-tu donc à passer pour gémissant et plaintif, pour mort et jamais enterré ?
Au reste, quand je parle de fécondes douleurs, je n’entends point dire par là que tout grand poëte gémit et pleure nécessairement dans ses vers ; mais, au contraire, que ses plus riantes extases recouvrent d’amers déplaisirs. Alors même qu’il nous entraîne dans un aimable Élysée, alors même qu’il peint la beauté sous ses